VIGILANCE. A l'entrée de la dernière ligne droite, tel est le maître mot des syndicats médicaux, animés de sentiments partagés sur la réforme de l'assurance-maladie. S'ils ont réservé un accueil initial favorable aux orientations gouvernementales, ils sont très loin d'être rassurés. « Il y a du bon, du moyen et du très mauvais », résume le Dr Michel Chassang, président de la Csmf (Confédération des syndicats médicaux français), à la lecture du projet de loi. Fermement invités par le gouvernement à s'approprier les outils de la maîtrise médicalisée d'ici à 2007 (FMC, évaluation des pratiques généralisée, protocoles de soins opposables, référentiels, dossier médical) et donc à assumer leur part de responsabilité dans le plan d'économies (10 milliards d'euros, quand même), davantage contrôlés demain par l'assurance-maladie, les médecins libéraux veulent des contreparties. Etat des lieux des sujets qui risquent de fâcher.
• Parcours de soins/médecin traitant : des modalités d'application floues.
La promotion de « parcours de soins coordonnés », autour d'un médecin « traitant » (généraliste ou spécialiste) ou dans le cadre de réseaux, nourrit les inquiétudes, faute de garanties sur les modalités d'application. A quelle hauteur seront valorisés les actes « coordonnés » ou réalisés à la demande du médecin traitant ? Quelle sera l'ampleur de l'espace de liberté tarifaire octroyé en cas d'accès direct ? Quelles spécialités bénéficieront de cette autorisation de dépassement ? Quel sort pour les médecins du secteur II ? La fonction de médecin-traitant sera-t-elle attractive ? Autant de questions clés que le gouvernement veut renvoyer... aux négociations conventionnelles. « Il faut un cadrage politique fort », précise le Dr Dinorino Cabrera, président du SML (Syndicat des médecins libéraux), qui compte obtenir des engagements fermes du gouvernement. Pour le Dr Chassang, le volet sur la coordination des soins, en l'état, est « très décevant » car on retrouve « la filière et le médecin référent ».
• Médecins déviants : des amendes qui exigent des garde-fous.
Lorsqu'elle décide de poursuivre un professionnel de santé, l'assurance-maladie n'a le choix qu'entre le « pistolet à eau » ou la « bombe atomique » : ainsi s'exprimait le Dr Pierre Fender, médecin-conseil national, en juillet dernier. De fait, entre les simples courriers de mise en garde et les procédures très graves (déconventionnement, actions pénales), l'assurance-maladie n'a guère de marge de manœuvre. Le gouvernement a décidé de combler ce vide en instaurant un dispositif gradué de sanctions en cas d'abus ou fraudes manifestes (des professionnels mais aussi des établissements ou des assurés). Des « amendes administratives » seraient prononcées par les caisses locales d'assurance-maladie, après avis d'une commission paritaire (salariés/ professionnels). Selon une note ministérielle, que « le Quotidien » s'est procurée, le montant de la pénalité serait fixé en fonction de la gravité des faits « dans la limite de 7 000 euros », et serait doublé « en cas de récidive ». Le barème sera précisé par décret. Un appel sera possible devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale.
Sans rejeter de telles sanctions, les syndicats exigent que les droits de la défense soient garantis. En 2002, les contrôles « ciblés » de l'assurance-maladie sur les prestataires de soins avaient porté sur 11 500 individus. L'essentiel de ces contrôles (10 000) avait révélé des dysfonctionnements « légers » non intentionnels, débouchant sur un classement, des courriers ou la récupération d'indus. Mais 1 723 professionnels avaient été contrôlés en raison de pratiques « fortement atypiques ». Dans un tiers de ces cas (568), ces contrôles ont constaté des pratiques dangereuses ou frauduleuses (actes facturés non réalisés), qui ont fait l'objet de procédures contentieuses.
IJ : oui au contrôle, non à l'acharnement.
Plusieurs dispositions du projet de loi donnent à l'assurance-maladie les moyens de contrôler plus souvent et plus efficacement les prescriptions d'arrêts de travail ou de transports. En plus des sanctions financières, une mesure permettra, en cas d'abus constaté (par exemple, une pratique « très supérieure à la moyenne de l'activité normale de ces prescriptions »), de mettre sous contrôle l'activité de prescripteur du médecin. Le gouvernement envisage la « suspension pendant une période de six mois au maximum de la prise en charge des transports ou des indemnités journalières prescrites ». Ou encore l'accord préalable systématique du contrôle médical. Le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, dénonce un « acharnement hors de propos » sur les arrêts de travail et une « culpabilisation a priori » des médecins. Philippe Douste-Blazy doit détailler aujourd'hui, à Sartrouville (Yvelines), ce dispositif de lutte contre les arrêts de travail injustifiés.
• Dossier médical partagé : un chantier titanesque.
Grâce à ce nouvel outil qu'il qualifie de « nécessité absolue », le gouvernement entend décloisonner la médecine ambulatoire et l'hospitalisation. Bien accueilli par les libéraux, ce dossier informatisé obligatoire en 2007 pour tous les Français de plus de 16 ans soulève néanmoins de nombreuses interrogations. « Qui devra l'ouvrir et pour qui en priorité?Hors de question d'imaginer que les médecins mettront en ligne toutes les données de tous leurs patients dès les débuts du dossier médical. La mise en route devra être progressive », prévient le Dr Dinorino Cabrera. La tâche devrait revenir au médecin traitant et les personnes souffrant d'affection de longue durée (ALD) en être les premiers bénéficiaires. Pour ne pas rendre caducs les systèmes déjà exploités dans les cabinets médicaux, les médecins devraient disposer d'un module permettant une interface avec le DMP.
Mais MG-France craint que la technologie Internet ne suscite « le même espoir excessif » que la carte Vitale et le carnet de santé. « Complexité administrative, complexité pour les professionnels et les hôpitaux, complexité technologique et complexité éthique: le chemin du DMP est semé d'embûches », prédit le Dr Pierre Costes. « Ce système aura un coût, ajoute le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF (Fédération des médecins de France). Il faudra songer à équiper les médecins en matériel informatique et assurer leur formation. » La confidentialité des données médicales est un autre sujet de tension. Les psychiatres et les associations de consommateurs ont exprimé le souhait de ne pas voir figurer dans le dossier médical les antécédents psychiatriques des patients.
• Liberté d'installation : vers plus de coercition.
La liberté d'installation semble de plus en plus menacée à terme. Le Conseil économique et social (CES) a voté un avis suggérant des mesures directives pour mieux répartir l'offre de soins et envisagé de lier conventionnement et localisation géographique. Le projet gouvernemental confirme que des mesures restrictives au conventionnement pourraient être prises pour les futures générations de médecins. Dans le cadre du schéma régional d'organisation sanitaire (Sros), une convention entre les unions régionales des caisses d'assurance-maladie et les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) devra définir les zones qui justifieront des dispositifs d'incitation à l'installation. Pour le Dr Jean-Paul Hamon, porte-parole de la coordination nationale des médecins généralistes (Conat), « ces mesures obtiendront le résultat inverse de celui escompté en incitant les nouveaux médecins à ne pas choisir l'exercice libéral qui leur semblera dès lors encore plus contraignant ».
• Hôpital : les « privilèges » de la forteresse ?
Les syndicats de médecins libéraux affirment que l'effort de rationalisation des dépenses demandé à l'offre de soins porte essentiellement sur la médecine de ville et oublie l'hôpital. Pire, MG-France relève que le gouvernement
« une fois encore limite ses annonces d'investissement au secteur hospitalier ». Le pilotage séparé de l'hôpital public, qui vient de faire l'objet d'annonces et de promesses spécifiques (« le Quotidien è du 27 mai), irrite au plus haut point les libéraux, qui dénoncent
« deux poids deux mesures ». Et stigmatisent la
« forteresse ».hospitalière.
Forfait hospitalier : + 3 euros d'ici à 2007
Quelques jours après que le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, a annoncé pour 2005 une hausse de 1 euro « dès cette année » du forfait hospitalier (« le Quotidien » du 24 mai), Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie, a confirmé - et amplifié - cette mesure. Dans un entretien publié le 28 mai par le quotidien « Metro », précision a été donnée par Xavier Bertrand que le forfait hospitalier allait augmenter de « 1 euro par an de 2005 à 2007 ». « Ce sera une mesure réglementaire qui devrait donc être applicable au 1er janvier 2005 », a précisé par ailleurs le secrétariat d'Etat. La hausse, progressive, sera donc de 3 euros.
Le forfait hospitalier avait déjà été relevé par le précédent ministre de la Santé, Jean-François Mattei, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004 et porté de 10,67 euros à 13 euros, une mesure qui a pris effet au 1er janvier.
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