Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et l'aspirine sont deux des médicaments les plus prescrits en cardiologie. Parce qu'ils protègent les patients athérosclérotiques des complications cardio-vasculaires, ils sont souvent prescrits de façon conjointe. Les IEC abaissent la pression artérielle en diminuant la production d'angiotensine II et en majorant celle de bradykinine et de prostaglandines vasodilatatrices I2 et I3. Des pharmacologues ont depuis longtemps suggéré que l'aspirine et les autres anti-inflammatoires non stéroïdiens pourraient limiter l'effet anti-hypertenseur des IEC par une inhibition de la production des prostaglandines vasodilatatrices vasculaires ou rénales. Cette baisse de la synthèse pourrait majorer un effet indésirable connu des IEC : la rétention hydrosodée.
L'analyse rétrospective de six études randomisées
En se basant sur ces connaissances pharmacologique, il a donc été suggéré que la prescription d'aspirine pourrait limiter les effets bénéfiques des IEC chez les patients à risque cardio-vasculaire. En 1992, les résultats de l'étude SOLVD (Studies of Left Ventricular Dysfunction) suggéraient que l'effet des IEC sur la mortalité était moins important chez les sujets recevant de l'aspirine que chez les comparateurs. Des résultats similaires ont été rapportés en 1997 par les investigateurs de l'étude CONSENSUS (Cooperative New Scandinavian Enalapril Survival Study).
Afin de proposer une réponse argumentée à la question de la coprescription IEC/aspirine, un groupe de chercheurs européens et nord-américains a proposé une analyse rétrospective de six études cliniques randomisées, incluant un total de plus de 22 000 patients, qui évaluaient ces traitements. Ils ont pris comme critères de référence la mortalité globale, les infarctus du myocarde, les AVC, les admissions à l'hôpital pour insuffisance cardiaque et les procédures de revascularisation. « A l'état basal, il n'existait pas de différence clinique majeure entre les patients recevant de l'aspirine et ceux exempts de traitement anti-agrégeant plaquettaire », expliquent les auteurs. Sur l'ensemble des patients inclus dans les études, 8 000 ont présenté l'un des événements cardio-vasculaires retenus par les investigateurs. « Notre analyse confirme l'intérêt de la prescription d'IEC chez les sujets à haut risque - présentant ou non une insuffisance cardiaque ou une dysfonction ventriculaire gauche - sur la mortalité, la survenue d'infarctus du myocarde, d'AVC ainsi que les hospitalisations pour décompensation cardiaque et les procédures de revascularisation », rapporte le Dr K. Teo.
Pour expliquer les différences obtenues dans les deux essais cliniques SOLVD et CONSENSUS, les auteurs avancent qu'à l'état de base l'aspirine était moins prescrite chez les femmes, les diabétiques, les hypertendus et les fumeurs mais plus chez les personnes aux antécédents de maladie coronarienne ou aux malades sous bêtabloquants.
Les sous-groupes de patients
« Le meilleur pronostic des des patients ne prenant pas d'aspirine pourrait donc être lié à une variation de l'effet thérapeutique des IEC selon les sous-groupes de patients », souligne K. Teo.
La seule façon d'estimer sans biais l'effet de la coprescription serait de mettre en place un essai randomisé 2X2 aspirine contre placebo et IEC contre placebo. En attendant les résultats d'une telle étude les investigateurs du groupe AEC inhibitors Collaborative Group proposent qu' « en l'absence de contre-indication, IEC et aspirine soient prescrits conjointement chez tous les malades à haut risque cardio-vasculaire ».
« The Lancet », vol. 360, pp. 1 037-1 043, 5 octobre 2002.
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