Passage brutal à la modernité socio-économique, perte des repères culturels entraînant une faible estime de soi : pour la première fois, une étude multidisciplinaire, après trois années de recherche, lève en partie le voile du taux record de suicides en Bretagne.
Chez les hommes, le nombre de suicidés est passé de moins de 200 par an dans l'immédiat après-guerre à 650 actuellement, avec un pic de 761 en 1987. Parmi les femmes, la progression, sur la même période, est de 50 à 250 (288 en 1986). Entre le Finistère, l'Ille-et-Vilaine, le Morbihan et les Côtes-d'Armor, c'est ce dernier département qui est le plus touché.
La surmortalité bretonne par suicides (60 % de plus que la moyenne nationale) n'a pas toujours existé. Au début du XIXe siècle, le nombre de suicidés bretons était inférieur de 40 % à la moyenne nationale.
Pilotée par Yannick Barbançon, président de la Mutualité française en Bretagne et vice-président du conseil économique et social régional, l'étude a mobilisé, depuis octobre 1999, une quinzaine de chercheurs rattachés aux universités de Rennes, Brest et Lorient. Entre autres facteurs des 900 à 1 000 suicides bretons annuels, elle évoque le passage sans transition de la Bretagne d'un état d'arriération socio-économique aux temps modernes. Les psychiatres, sociologues et historiens soulignent l'absence d' « accompagnement pour contrecarrer les effets nocifs, voire dévastateurs sur le comportement individuel », parlant « de violent traumatisme ».
« Ces effets ont été d'autant plus destructeurs » qu'ils touchaient « une population fragilisée » par des « mesures coercitives contre la culture et la langue bretonnes, dont l'usage fut un temps interdit dans les lieux publics », ou encore par le « recul de la religion » et par la « modification de la structure familiale ». « Le tout sur un fond de conduites à risque et de dépendances, notamment à l'alcool, qui fut et reste un fléau pour la santé en Bretagne et constitue un facteur aggravant en matière de suicide, en raison de son pouvoir désinhibiteur », souligne l'étude.
Les chercheurs ont observé, également, « une population au profil psychopathologique » caractérisé « par une faible estime de soi, une pregnance du sentiment de honte et une fragilité narcissique ».
Pour infléchir la courbe du suicide, l'étude propose d' « intégrer la dimension santé dans les politiques publiques, qu'elles soient nationale, régionale ou locale ». Il faudrait tout particulièrement prévoir, suggère-t-elle, « des mesures de prévention primaire adaptée : écoute, suivi et aide aux personnes en difficulté psychologique ».
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