Le 1er février 2000, la Cour européenne de justice avait condamné la France pour avoir institué des règles de succession inégalitaires entre les enfants naturels et les enfants légitimes ou adultérins. Les juges de la cour d'appel de Pau ayant ensuite admis que le code civil était caduc en la matière (arrêt du 28/11/2000), une réforme du droit des successions s'imposait. Mais le gouvernement entendait profiter de cette nécessaire réforme pour améliorer le sort du conjoint survivant.
Or certaines dispositions du texte proposé par le législateur faisaient primer les liens du mariage sur ceux du sang. Une situation mal vue dans les campagnes en raison notamment du partage des terres agricoles et, de ce fait, vivement contestée par les sénateurs.
Malgré l'opposition marquée entre sénateurs et députés, un texte a enfin été adopté par les parlementaires. Les droits du conjoint survivant sur la succession de son époux ou de son épouse sont toutefois en retrait par rapport au projet de loi initial. Le texte définitif fait en effet une différence entre les membres de la famille de sang survivant. Toutefois, les droits sont notablement améliorés par rapport à la situation antérieure. Bien entendu, il demeure toujours possible de parfaire ces nouvelles dispositions légales en adoptant certains régimes matrimoniaux particuliers comme la communauté universelle, ou en prenant des dispositions testamentaires (donation du dernier vivant par exemple).
De nouveaux droits
Comme l'avait souhaité le législateur, le texte adopté améliore la place du conjoint survivant dans l'ordre successoral, ce qui lui permet de prétendre à une part plus grande de la succession de son conjoint décédé. Ainsi :
- En présence d'enfants communs, le conjoint aura le choix entre le quart de l'actif successoral en pleine propriété ou de la totalité en usufruit au lieu, dans la situation précédente, d'un quart en usufruit.
- S'il y a des enfants de lits différents, le conjoint survivant n'aura aucun choix possible et percevra le quart de la succession en pleine propriété au lieu du quart en usufruit jusqu'au vote de cette loi.
- En l'absence d'enfants et en présence des père et mère du défunt, la moitié en pleine propriété de la succession reviendra au conjoint survivant au lieu de la moitié en usufruit. Les parents percevront, chacun, le quart de la succession.
- En l'absence d'enfants et en présence du père ou de la mère du défunt, de frères ou de surs du défunt ou de leurs descendants, le conjoint survivant percevra les trois quarts en pleine propriété au lieu de la moitié en usufruit. La nue-propriété de cette moitié revient aux frères et surs et ils ont droit en plus à un quart en pleine propriété.
- En l'absence d'enfants et en présence uniquement de frères ou de surs du défunt ou de leurs descendants, le conjoint survivant percevra la totalité de la succession diminuée de la moitié des biens de famille que le défunt a reçus de ses parents prédécédés par donation ou succession.
- En l'absence d'enfants et en présence uniquement de grands-parents ou d'arrière-grands-parents du défunt, le conjoint survivant percevra la totalité de la succession contre la moitié en usufruit aujourd'hui.
- En l'absence d'enfants et en présence uniquement d'oncles, de tantes, de cousins du défunt, l'intégralité de la succession lui revient comme cela a toujours été le cas.
Pas de changements pour les enfants
Pour les enfants, on notera que la loi adoptée ne modifie pas la situation actuelle puisque la part réservataire de ceux-ci n'est aucunement modifiée : pour un enfant, elle représente toujours la moitié de l'actif successoral alors que, en présence de deux enfants, la part réservataire globale représente les deux tiers des biens et de trois enfants ou plus, les trois quarts. A ces parts légales s'ajoute la quotité disponible sauf « volonté contraire du défunt exprimée par acte authentique ».
Toujours en présence d'enfants, on observera que la partie revenant au conjoint survivant dépendra, en l'absence de dispositions particulières prises par le défunt, du régime matrimonial. Ainsi, il obtiendra :
- Avec le régime de la communauté : les trois quarts des biens communs en pleine propriété ou la moitié en pleine propriété et l'autre moitié en usufruit au lieu du quart précédemment.
- Avec le régime de la séparation de biens : le quart des biens du défunt et la totalité de ses biens.
Pour terminer, le conjoint survivant devient prioritaire sur les ascendants du défunt, autres que les père et mère. Toutefois, la loi propose, dans ce cas, qu'ils puissent bénéficier, lorsqu'ils sont dans le besoin, d'une créance d'aliments contre la succession du prédécédé.
Un droit au logement
Députés et sénateurs ont admis assez facilement le nouveau droit sur le logement familial donné au conjoint survivant. Cette proposition constituait l'autre nouveauté du projet de loi. Mais ce droit est tout de même limité puisqu'il s'agit en réalité d'un droit viager d'habitation et d'usage de la résidence principale.
Lorsque l'on sait que « 80 % des successions comprennent une maison d'habitation et quelques économies pour une valeur moyenne oscillant entre 600 000 F et 700 000 F » (Alain Vidalies, rapporteur de la commission des lois à l'Assemblée nationale le 8 février 2001), on comprend pourquoi la proposition de légaliser le maintien dans son « cadre de vie » du conjoint survivant n'a pas donné lieu à autant de débats que les autres articles du projet de loi.
L'adoption de cette partie du texte initial permet au conjoint survivant de conserver, lorsqu'il n'est pas divorcé ou lorsqu'il n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée, le « droit de vivre » dans sa résidence principale avec l'usage du mobilier qui le garnit. Cette jouissance gratuite est possible pendant un an et si le logement concerné était loué par les conjoints, les loyers afférents à cette période d'habitation à titre gratuit seront prélevés sur la succession.
Au-delà de cette période, sauf volonté contraire du défunt, le conjoint survivant disposera, jusqu'à son décès, d'un droit d'habitation et d'un droit d'usage sur le mobilier « attaché » à la résidence principale. Mais il est alors prévu que la valeur de ces droits d'habitation et d'usage s'impute sur la valeur des droits en propriété recueillis par le conjoint survivant. Si cette valeur est :
- inférieure au montant recueilli : le conjoint survivant peut prendre le complément sur la succession ;
- supérieure : le conjoint survivant n'est pas tenu de récompenser la succession à raison de l'excédent.
La valeur des droits d'habitation et d'usage est fixée à 60 % de la valeur de l'usufruit déterminée conformément au I de l'article 762 du code général des impôts.
Pour exercer ou non ces droits d'habitation et d'usage, la loi donne au conjoint survivant un délai de un an à partir du décès de son conjoint pour exprimer son choix. Ces droits pourront ultérieurement être convertis en rente viagère ou en un capital d'un commun accord entre le conjoint survivant et les autres héritiers. Cette nouvelle disposition du droit des successions permet d'éviter certains inconvénients liés aux conséquences de l'usufruit où l'initiative appartenait aux seuls nus-propriétaires.
Les enfants adultérins
A l'origine de la réforme qui vient de voir le jour, l'enfant adultérin retrouve lui aussi des droits élargis. En effet, la loi qui vient d'être adoptée supprime la discrimination qui frappait, en cas de succession, l'enfant naturel par rapport à l'enfant légitime. Dorénavant, l'enfant naturel a les mêmes droits que l'enfant légitime.
Pour conclure, il faut préciser que ce nouveau texte de loi est d'ordre public et s'applique donc dès à présent en ce qui concerne le droit au logement, dès lors qu'aucune disposition particulière n'a été prise par le défunt ou le couple antérieurement au décès. En revanche, il faudra attendre juillet 2002 pour que soient applicables les nouveaux droits du conjoint survivant.
On notera enfin que cette loi introduit une distorsion entre, d'une part, le délai normal de six mois pour l'enregistrement de la déclaration de succession (Art. 641 du CGI) et, d'autre part, le nouveau délai de un an pour permettre au conjoint survivant d'exercer ses droits d'habitation et d'usage. Une nouvelle source de conflits à éliminer au plus vite ?
A la lecture du nouveau texte de loi, on peut se demander si les donations au dernier vivant consenties par de nombreux époux conservent leur intérêt. C'est le cas, car elles donnent au conjoint survivant des droits qui demeurent supérieurs à ceux consentis par la loi Vidalies. Mais dès que tous les décrets d'application seront parus, il sera judicieux pour tous ceux qui ont apporté des aménagements à leur contrat de mariage initial de faire le point avec leur notaire.
En présence d'enfants : un quart en propriété des biens de la succession et des droits privilégiés sur l'habitation familiale.
Sans enfants : la moitié des biens sur la succession si le conjoint décédé a encore ses père et mère et la totalité des biens de la succession dans les autres cas.
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