A la CPAM de Nantes, en Loire-Atlantique, on dénombre au moins 30 % de cas de nomadisme médical parmi les patients à la recherche de Subutex (buprénorphine haut dosage). Les toxicomanes concernés, après avoir soutiré « x ordonnances » dans différents cabinets de médecins de ville, disposent ainsi d'une quantité impressionnante de produits. Et, au lieu de se soigner, ils en font commerce au coin des rues au prix de 10 à 15 euros le comprimé, une boîte de 7 coûtant environ 24 euros en pharmacie.
A cela s'ajoute « un problème de mésusage » : 30 % des usagers se font des injections par voie intraveineuse. Sans compter que le traitement de substitution n'en est plus un, mais « un mode d'accès à la toxicomanie », puisqu'on le prescrit, ici et là, à des personnes qui ne devraient pas y avoir droit. Désormais, « on trouve le cannabis à l'école et le Subutex chez le médecin de famille », dit au « Quotidien », en forçant le trait, Claude Frémont, directeur de la CPAM de Nantes. Certes, la situation nantaise « n'est pas la pire ». En Ile-de-France ou à Montpellier, c'est « bien plus inquiétant ». Comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? laisse entendre le responsable de l'assurance-maladie. « Je n'attaque pas les médecins, mais on a mis sur le marché, en 1996, le Subutex, larga manu , sans contraintes particulières », déplore-t-il.
Les conséquences en sont connues. Didier Jayle, à la tête de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, comme Jean-François Mattei, aimeraient y mettre un terme. D'ailleurs, Bruno Gilles, député UMP des Bouches-du-Rhône, rapporteur pour l'assurance-maladie, a fait adopter, le 22 octobre, par la commission des Affaires sociales un dispositif visant à organiser, dans un cadre thérapeutique contractuel, la prescription et la délivrance des traitements de substitution aux toxicomanes, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (PLFSS). Il s'agit d'un amendement à l'article 32 qui exclurait du remboursement le Subutex pour tout patient n'ayant pas souscrit un « protocole de soins », dans lequel il lui est fait « obligation d'indiquer au médecin le nom du pharmacien chargé de la délivrance ». Mais, alors même que le PLFSS est en cours d'examen au Parlement, la méthode est contestée. Elle a soulevé un tollé général à la Commission nationale de substitution, composée d'acteurs de terrain, qui s'est réunie à la direction générale de la Santé le 24 octobre, au point que William Dab, patron de la DGS, a fait savoir que l'amendement Bruno Gilles ne serait pas présenté en séance publique. Affaire à suivre.
Pas de carnet de santé,
pas de Subutex
Quoi qu'il en soit des atermoiements ou des éventuelles volte-face du politique, pour Claude Frémont, auteur d'un ouvrage intitulé « Subutex : la grande illusion » (1), « il est temps que les caisses primaires se ressaisissent et exercent un contrôle ». « Les trois quarts des toxicomanes bénéficiant du Subutex ne sont pas suivis par leur médecin, bien que les soins dont ils sont l'objet courent sur plus de six mois », constate-t-il. Aussi, à Nantes, on annonce la constitution prochaine d'un réseau de santé Subutex, autour du CHU et du centre de soins spécialisés pour toxicomanes de la ville. Financé par la Sécurité sociale et animé par des médecins, des pharmaciens, des travailleurs sociaux, des éducateurs et des psychologues, il permettra une prise en charge médicale, sociale et psychologique - « ce que ne peut réaliser à lui seul le médecin de ville », relève Claude Frémont. Une thérapeutique d'où le paiement à l'acte est exclu et qui donnera lieu à une rémunération des intervenants sur une base forfaitaire. « Ces traitements ne peuvent se concevoir de manière efficace et sûre que dans le cadre d'un travail en réseau entre les médecins libéraux, les pharmaciens d'officine, les services sociaux et hospitaliers et les centres de soins aux toxicomanes », affirmaient dès la première heure le directeur général de la Santé et les présidents des Ordres des médecins et des pharmaciens (lettre ministérielle du 20 mai 1997).
Dans un premier temps, la CPAM de Nantes, qui va désigner un correspondant Toxicomanie pour les médecins, les pharmaciens et les assurés, entend effectuer « un suivi administratif permanent des prescriptions et des délivrances, pour pointer les déviances et y mettre fin au cas par cas ». Elle impose l'utilisation du carnet de santé, dont l'obligation est légale et conventionnelle - « Pas de carnet de santé, pas de Subutex »- ainsi que la conclusion d'un protocole thérapeutique entre le praticien traitant et le médecin-conseil, « tel que prévu par la loi en cas de soins continus supérieurs à six mois, sous peine d'une suspension de la prise en charge par la Sécu ».
(1) CPAM Nantes, octobre 2003.
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