L'ataxie avec déficit isolé en vitamine E (AVED pour Ataxia with isolated Vitamine E Deficiency) est une maladie autosomale récessive, dont le phénotype est souvent impossible à distinguer d'une ataxie de Friedrich, la plus fréquente des ataxies héréditaires en Europe et aux Etats-Unis.
L'équipe de Takanori Yokata a déjà cloné le gène de la protéine de transfert de l'alpha-tocophérol (alpha-TTP) et identifié des mutations de ce gène chez des patients atteints d'AVED. Par la suite, elle a montré que les mêmes mutations peuvent être une cause de rétinite pigmentaire. En réalité, l'alpha-TTP est exprimé dans le cerveau, la rétine et le foie. Cela dit, son rôle n'est pas encore totalement compris ; on ne sait pas si un déficit en alpha tocophérol est seul en cause dans l'AVED. Afin d'en savoir plus, la même équipe a créé un modèle de souris atteinte d'AVED en provoquant une délétion du gène alpha-TP.
Au bout d'un an - et un an seulement, ce qui est important, nous y reviendrons - ces souris ont effectivement présenté une ataxie et une dégénérescence rétinienne ; une supplémentation en vitamine E a entraîné une régression des symptômes.
« On estime que le cerveau est particulièrement vulnérable au stress oxydatif, précisent les auteurs, et un faisceau d'arguments suggère que le stress oxydatif est impliqué dans la pathogénie de maladies neurodégérénatives incluant la maladie d'Alzheimer et la sclérose latérale amyotrophique. » Dans des modèles animaux utilisés jusqu'à présent, on a induit la mort neuronale par des molécules chimiques productrices de radicaux libres, comme le paraquat et le MPTP, ou encore en bloquant le gène de la manganèse superoxyde dismutase. Mais le problème est que les dégénérescences neuronales ainsi obtenues se développent de façon aiguë, en quelques jours ; ce qui est différent de la mort neuronale observée dans les maladies neurodégénératives humaines, qui sont caractérisées par une survenue tardive et une progression lente, sur des années ou des décennies. Dès lors, on comprend que l'AVED et la dégénérescence rétinienne obtenues ici chez des souris alpha-TTP-/- permettent d'espérer qu'on tient là un bien meilleur modèle animal pour l'étude des maladies neurodégénératives humaines.
« Nos résultats, estiment les auteurs, constituent une base raisonnable pour traiter les patients AVED par de l'alpha-tocophérol. »
Traiter les patients AVED avec l'alpha-tocophérol
Ils pensent que leur protocole constitue le premier traitement oral capable de prévenir presque complètement l'apparition du phénotype dans un modèle animal de maladie neurodégénérative humaine.
Ils signalent que, dans leur étude, les symptômes et les modifications pathologiques des souris alpha-TTP-/- étaient bien plus sévères que celles observées chez des souris sauvages soumises à une privation d'alpha-tocophérol. A cela, trois explications possibles. Premièrement : la privation seule ne suffirait pas à éliminer complètement l'alpha-tocophérol du cerveau. Deuxièmement, la concentration normale d'alpha-tocophérol serait bien supérieure au minimum nécessaire pour prévenir l'apparition des symptômes neurologiques (d'ailleurs, en clinique, chez les patients qui ont une malabsorption des graisses, un déficit sévère mais incomplet en alpha-tocophérol, à 25 % des valeurs normales, ne suffit pas à induire des signes neurologiques. Troisièmement, l'alpha-TTP exprimé dans le cerveau pourrait avoir d'autres fonctions que le seul transport de l'alpha-tocophérol ; mais cette hypothèse ne tient pas dans la présente étude car l'administration d'alpha-tocophérol a corrigé presque complètement les troubles.
Quel est le niveau de stress oxydatif chez les souris alpha-TTP-/- ? Tous les produits de la peroxydation lipidique étudiés étaient significativement accrus chez ces souris, puis notablement améliorés par la supplémentation en alpha-tocophérol. « Cela indique que le cerveau alpha-TTP-/- est dans un état hautement oxydé du fait d'une carence en alpha-tocophérol, d'où neurodégénérescence. »
« Les souris alpha-TP-/-, concluent les auteurs, devraient se révéler utiles pour étudier les mécanismes de la dégénérescence neuronale et d'autres maladies neurodégénératives liées à l'âge comme la maladie d'Alzheimer. »
«Proc Natl Acad Sci USA », du 18 décembre 2001, pp. 15 185-15 190.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature