Pharmacoéconomie

Stratégie de niches, le nouveau standard

Publié le 20/02/2013
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Adopté au départ par des start-up, la stratégie de recherche de médicaments concernant un nombre limité de patients mais dotés d’un fort potentiel économique serait en passe d’être adoptée par l’ensemble des acteurs. Mais leur prix élevé ne constitue-t-il pas un risque en temps de crise économique ?

L’industrie pharmaceutique est-elle confrontée à une crise de modèle ou plutôt à un effet de taille ? Le big est-il toujours beautiful ou faut-il préférer la jeune pousse ? Surtout avec l’abandon de la stratégie du blockbuster, médicament générant au moins un milliard de chiffres d’affaires et prescrit par des médecins généralistes à des larges populations, l’avenir repose-t-il sur une stratégie de niche dont le modèle serait les maladies orphelines ? Cette stratégie au départ lancée par les start-up paraît adoptée désormais par l’ensemble de l’industrie, y compris les big pharma. « On observe en effet une saturation de l’offre pour les grandes pathologies chroniques du type HTA et cholestérol », reconnaît Patrice Zagamé, PDG de Novartis France et vice-président du conseil d’administration du Leem. Certains laboratoires ont opté pour une spécialisation dans un domaine thérapeutique. Et cela leur a plutôt réussi. Gilead, laboratoire américain, spécialisé dans le traitement de l’infection à VIH est rapidement devenu leader mondial. Biogen a investi le domaine des neurosciences et plus particulièrement la sclérose en plaques avec plusieurs produits dans cette pathologie. L’opthalmologie a été la cible thérapeutique unique choisie par plusieurs entreprises. D’autres ont opté pour la recherche de nouveaux traitements dans les maladies rares. En témoigne le développement de Genzyme avant son rachat par Sanofi.

Niche, une stratégie payante

Au regard de ces succès, la stratégie de niche se révèle payante. Un blockbuster peut être obtenu à partir d’une indication réservée à quelques milliers de patients. Ici, ce n’est plus la prévalence qui compte mais plutôt l’élucidation d’un mécanisme physiologique au carrefour de plusieurs pathologies. C’est là le nouveau paradigme de la recherche qui exploite les données issues des programmes internationaux menés sur le génome. En témoigne l’aventure de l’imatinib (Glivec®, laboratoire Novartis) développé au départ dans la leucémie myéloïde chronique, puis prescrit dans d’autres maladies. D’où parfois l’incompréhension des agences de régulation face à la demande de prix jugée élevés. « Or, ce n’est pas un stratagème mais une réalité scientifique », s’insurge Patrice Zagamé. La découverte de médicaments de rupture n’est plus le fruit du hasard. Le succès en revanche peut dépasser les plus grands espoirs. « Nos produits sont devenus des blockbusters alors qu’au moment de leur lancement, le nombre des patients concernés paraissait limité », souligne Corinne Blachier-Poisson, directrice de l’accès au marché et des affaires publiques au sein du laboratoire Amgen. Ce laboratoire est l’un de ceux qui ont opté pour les biotechs, alors que personne n'y croyait et est devenu l’un des leaders du secteur. À la fin des années quatre-vingt-dix, Amgen s’est d’ailleurs lancé dans l’innovation thérapeutique pour des pathologies à forte prévalence comme l’ostéoporose.

Mise à bas des frontières

Mais l’aventure du moins en France a essuyé un revers au niveau de la Commission de transparence. « Aujourd’hui, lorsque des innovations thérapeutiques sont mises au point dans des pathologies à forte prévalence comme les troubles métaboliques, elles concernent seulement des sous-classes de patients », explique Corinne Blachier-Poisson. Pour autant entre petits et grands, les labos spécialisés dans les biothérapies et ceux qui se construisent à partir de mégafusions, les frontières s’estomperaient aujourd’hui. « Il y a convergence des modèles, souligne Patrice Zagamé. Les niches au départ relevaient de l’exception. Elles sont devenues le standard. Pas si sûr », répond pour sa part Vincent Genet (Alcimed, société de conseil). Si Novartis déploie son offre à tous les secteurs du médicament depuis l’OTC jusqu’aux médicaments de niche dotés d’un fort potentiel de développement, Sanofi se diversifie sur un axe autre que le seul médicament autour des solutions de santé.

Différenciation stratégique

Surtout la stratégie est différente selon que le laboratoire vise les marchés matures ou émergents. « Il y a là deux dynamiques différentes. Bref tous les acteurs historiques n’optent pas pour le même modèle. Mais à force de se diversifier, le risque – pointé par Vincent Genet – est la dispersion. » L’autre direction serait de s’orienter vers l’ultra-niche. Mais l’avenir est là bridé par les enjeux économiques brandis par les autorités de régulation pour limiter les remboursements.

Comment in fine valoriser demain à leur juste valeur les médicaments orphelins, s’interroge Vincent Genet ? La réponse agite les états-majors de tous les laboratoires pharmaceutiques. Avec en ligne l’avenir du progrès thérapeutique.

Gilles Noussenbaum

Source : Décision Santé: 290