CE QUI AVAIT CONDUIT Thierry Breton à faire une déclaration sur la base du prérapport Péberau, c'est l'affaire de la retraite des fonctionnaires, pour laquelle aucune caisse n'est abondée apparemment et qui sera financée par les « engagements » de l'Etat. Combien coûte un engagement de l'Etat ? 900 milliards d'euros, avait répondu Thierry Breton.
Mercredi, M. Pébereau évaluait la retraite des fonctionnaires à une somme comprise entre 400 milliards et 1 000 milliards.
Trois manières.
Autant dire que si lui-même ne peut pas donner une estimation sûre, 60 millions de Français ne savent pas davantage où ils vont.
Car « engagement de l'Etat » signifie que le pékin va payer les fonctionnaires retraités et que cela ne peut se concevoir que de trois manières : soit on paie la retraite des fonctionnaires avec l'argent qui se trouve dans les caisses privées de retraite et la retraite de tous diminue d'autant ; soit on augmente les impôts, ce qui fait de la retraite du service public un poste budgétaire au même titre que le service de la dette ; soit on laisse les fonctionnaires retraités mourir de faim, ce qui n'est pas l'hypothèse la plus plausible.
On ne s'explique pas la légèreté des gouvernements qui se sont succédé depuis 1945 sans jamais penser à payer les cotisations de l'Etat et sans s'inquiéter davantage des finances des grandes entreprises nationales, EDF, Sncf, etc. : elles vont être privatisées et leurs retraites seront garanties par une « soulte » versée par la société. L'Etat met cette soulte au compte de ses recettes fiscales, réduit d'autant son déficit budgétaire, mais ne sait pas du tout comment il paiera les retraites. Quand on sait comment sont épluchés les comptes des firmes privées, quand on sait l'acharnement du fisc contre elles, on se demande pourquoi l'Etat, lui, n'a de comptes à rendre à personne.
La dette sortie de son tiroir.
Que M. Breton ait mis le doigt sur un scandale qui dure depuis des décennies, qu'il annonce aux Français qu'ils « vivent au-dessus de leurs moyens », qu'il introduise dans cette gestion désastreuse les calculs d'un simple comptable, tout cela est bel et bon. Mais enfin, il n'y a rien à là qu'il n'ait déjà su. La politique de communication gouvernementale, c'est un peu comme les polémiques des médias : hier, c'était le colonialisme, aujourd'hui l'esclavagisme, demain on parlera d'autre chose. Avec Breton, il en va de même : les ministres de l'Economie, habituellement, nous rebattent les oreilles avec une croissance qui n'arrive jamais ; lui, il sort la dette de l'obscur tiroir où on l'avait jetée, mais où elle n'a cessé de croître, comme un animal de compagnie bien nourri. Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas un autre jour, ou plutôt une autre année ? Ne pouvait-il accorder à ses concitoyens, déjà accablés par les mauvaises nouvelles, un répit momentané ?
Venu de la vie civile, M. Breton n'aime sûrement pas le machiavélisme des hommes politiques. Il vient pourtant de céder à un calcul élémentaire, ce qui est bien normal dans cette affaire de dette : il a voulu déclencher un choc psychologique chez ses concitoyens, il veut qu'ils cessent de réclamer la lune quand l'Etat est fauché et, en rigoureux économiste, il veut aussi réduire cette dette colossale.
POUR COMPRENDRE LE SENS DE « 1 000 MILLIARDS », IL SUFFIT DE PENSER À NOTRE RETRAITE ET À NOTRE SANTÉ
Tout dans la tête.
Comme M. Breton est aussi un wonder boy, tout ce qu'il dit aujourd'hui, il le sait depuis longtemps, il a tout dans la tête. On ne peut donc pas l'accuser d'avoir seulement voulu faire un coup politique ; il est sincèrement furieux du niveau d'endettement que la France a atteint de façon très irresponsable et alors, tiens, comme il est ministre, ça tombe bien, il s'en occupe.
Le rapport Pébereau est probablement destiné à nous épouvanter, ce qui devrait contribuer à refouler, espère-t-on en haut lieu, le flot des revendications type « toujours plus » ; on nous permettra de douter de cette stratégie de la dissuasion. Il ne faut pas être sociologue pour savoir, comme les Parisiens l'apprennent à leurs dépens, que pour faire une grève dure et longue, il suffit de travailler, comme à la Ratp, 5 heures et 59 minutes par jour et 182 jours par an, soit un jour sur deux. Quand des travailleurs en arrivent à ce genre d'imposture, ils ne vont pas s'embarrasser d'une discussion sur la dette.
Ce que le rapport propose.
Mais l'autre intérêt du rapport résulte de ce qu'il propose : gel des réductions d'impôts (encore un désaveu adressé à Jacques Chirac), gel des dotations aux collectivités locales (en échange, il est vrai, d'une évaluation plus généreuse de leurs besoins, mais ça va faire mal), dévolution au Premier ministre du contrôle de toutes les dépenses de l'Etat, y compris celles de l'assurance-maladie (la pierre de la maîtrise comptable dans le jardin des médecins), retour à l'équilibre du budget de l'assurance-maladie (en 2009), poursuite de la réforme des retraites, donc de l'allongement des carrières et compensation de toute dépense budgétaire nouvelle par une suppression de dépenses d'un montant équivalent.
C'est pire que l'huile de foie de morue. Mais cela donne une très bonne idée de la dette, pas en chiffres, mais en sacrifices à consentir. Nos concitoyens apprécieront.
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