L'histoire des sciences médicales retient que le principe de la percussion a été établi par le médecin autrichien Joseph Auenbrugger dans son livre « Inventum novum ex percussione thoracis humani » (1761). Introduite en France par Corvisart, la méthode est appliquée par un de ces jeunes et talentueux élève, René Théophile Hyacinthe Laënnec, qui lui ajoute l'auscultation médiate, c'est-à-dire par l'intermédiaire d'un instrument : le stéthoscope.
C'est en cherchant à examiner une jeune fille dont l'embonpoint empêchait toute percussion, qu'il découvrit sa méthode : « Je fus consulté en 1816 par une jeune personne qui présentait des symptômes généraux d'une maladie de cur et chez laquelle l'application de la main et la percussion donnaient peu de résultats à cause de l'embonpoint. L'âge et le sexe de la malade m'interdisant l'espèce d'examen dont je viens de parler*, je vins à me rappeler un phénomène d'acoustique fort connu : si l'on applique l'oreille à l'extrémité d'une poutre, on entend très distinctement un coup d'épingle donné à l'autre bout. J'imaginai que l'on pourrait peut-être tirer parti de cette propriété des corps. Je pris un cahier de papier, j'en formai un rouleau dont j'appliquai une extrémité sur la région précordiale, et, posant l'oreille à l'autre, bout je fus aussi surpris que satisfait d'entendre les battements du cur d'une manière beaucoup plus nette et plus distincte que je ne l'avais jamais fait par l'application directe de l'oreille ».
Cette invention souleva l'enthousiasme de Chateaubriand qui la décrira en termes élogieux : « Cette belle et grande découverte fera époque dans l'histoire de l'Art ».
L'Ecole anatomo-clinique de Paris
Il avait vu juste. L'histoire de la pratique clinique en sera bouleversée et l'Ecole anatomo-clinique de Paris rayonnera sur le monde médical de l'époque. Mais ce qu'il ignorait alors, c'est qu'un siècle plus tôt, en Angleterre, un autre savant avait déjà clairement reconnu le principe du stéthoscope et avait également anticipé ses futurs développements. Mais, à cette époque, ce n'était que de la spéculation : il restait tellement de choses à comprendre avant que les « sons du corps » ne soient utilement interprétés et que cela ait un impact sur la pratique clinique !
En outre, Robert Hooke (1635-1703), puisqu'il s'agit de lui, membre de la prestigieuse Royal Society, avait une personnalité irascible et s'était attiré l'inimitié de plusieurs de ses collègues. La querelle qui l'opposa à Isaac Newton n'est sûrement pas étrangère à la relative obscurité dans laquelle ont été maintenus ses travaux.
Newton et la pomme
Lors de la publication des « Principia » (1687), ouvrage dans lequel Newton expose sa théorie de la gravitation universelle, Hooke revendique immédiatement la paternité de la loi. L'anecdote de la pomme tombée dans le jardin de sa maison natale où il s'était réfugié pour fuir l'épidémie de peste à Cambridge permet à Newton de contrer cette revendication. Tout séparera désormais les deux hommes : l'un connaîtra l'éclat de la renommée et se laissera « portraiturer » par tous ceux qui voudront approcher son génie ; l'autre restera dans un relatif oubli et personne ne songera à garder la moindre image de lui.
Pourtant ses contributions à la science furent nombreuses et ses domaines d'intérêt multiples : mécanique, physique, astronomie, science de la nature, musique et architecture.
Comme la plupart des savants du milieu du XVIIe siècle, il était un défenseur la méthode expérimentale et ses « Micrographia » (1665) regorgent de dessins et d'observations réalisées grâce à au microscope rudimentaire qu'il avait lui-même fabriqué. Dans cet ouvrage apparaît pour la première fois, le terme de « cellule » utilisé pour décrire l'aspect microscopique des cavités d'un morceau de liège. La cellule est alors, pour lui, la plus petite unité structurelle de la vie. Cette découverte fait de lui le précurseur de la théorie cellulaire.
Artificial Tympanum
Mais c'est dans ses « Travaux posthumes » (1705) qu'il élabore l'idée d'une amélioration de nos sens au moyen d'instruments capables de fournir des observations utiles à la science. Certes, le microscope permettait déjà de perfectionner la vue, mais Hooke pressentit également que le recours à un « tympan artificiel » pouvait améliorer l'ouïe et rendre possible l'utilisation de nos sons internes.
« Peut-être pourrions-nous aussi découvrir les mouvements et les actions internes du corps grâce aux sons qu'ils émettent, comme on peut entendre, dans une horloge, le cognement du contrepoids, le tour des rouages, les coups du marteau, le grincement des dents et beaucoup d'autres bruits encore. Sait-on jamais ! Mais ce serait comme si l'on examinait le travail accompli par les différents ateliers et échoppes du corps humain de telle sorte que l'on puisse déterminer quel instrument ou quelle machine est endommagée, à quel moment les uns sont en fonctionnement et les autres en repos, et vice versa . Ou chez les végétaux, la pompe qui élève les sucs, les valves qui les arrêtent, et leur propagation d'un compartiment à l'autre. »
Dans ces quelques lignes, le principe est posé. Mais Hooke va plus loin. C'est un bon connaisseur de l'anatomie - il a pratiqué lui-même des dissections - et a lu les travaux de William Harvey (« De Motu Cordis », 1628). Il a lui-même fait une communication à la Royal Society en 1667 où il démontrait que le sang pulmonaire passant à travers des poumons distendus par de l'air pouvait maintenir en vie un chien intubé, même en l'absence de mouvements rythmiques des poumons.
Aussi est-il persuadé de la justesse de son hypothèse : « Mon expérience m'encourage à croire cela possible. J'ai pu déjà entendre distinctement les battements d'un cur humain, les mouvements de l'air dans les intestins et les petits vaisseaux. La congestion pulmonaire peut être facilement diagnostiquée par une respiration sifflante, la congestion cérébrale par des sifflements et bourdonnements, les déplacements articulaires par des bruits de craquements ». Mais pour que ces sons deviennent perceptibles, nous dit-il, « il faut, soit que leur mouvement puisse être amplifié, soit que l'organe des sens, rendu plus apte et puissant, puisse mieux les percevoir et les distinguer ». Il propose alors l'invention d'un tympan artificiel (Artificial Tympanum).
Otocousticon
Dans un article du « Lancet »**, Neil McLellan fait remarquer qu'avant ce passage, Hooke décrit un instrument, l' « otocousticon », qui aurait pu être un modèle pour ce tympan artificiel. Étrangement, il passe en revue ses différentes applications, pour la navigation ou la météorologie, sans jamais faire le lien avec le tympan artificiel et nos sons internes.
Au moment où Laënnec pose son cahier replié sur la poitrine de sa patiente, Robert Hooke n'est plus là pour tenter de revendiquer la paternité de l'invention. « Son esprit imaginatif a eu tant d'idées qu'il lui était impossible de les expérimenter toutes », conclut Neil McLellan.
* L'auscultation immédiate.
** « Lancet », vol. 352, 25 juillet 1998, pp. 312-313.
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