« Depuis plus de dix ans, les médicaments de la classe des statines sont utilisés pour diminuer le taux de cholestérol sanguin. De vastes études contrôlées contre placebo incluant plus de 30 000 patients et utilisant la lovastatine, la simvastatine et la pravastatine ont conclu que ces médicaments contribuent à prévenir les infarctus du myocarde autant chez les patients atteints d'affection coronarienne préexistante que chez ceux qui sont à haut risque de maladie coronarienne. Ces molécules, ainsi que de nouvelles statines, l'atorvastatine et la fluvastatine, ont été utilisées en toute sécurité chez des millions de patients de par le monde, démontrant ainsi la faible incidence des effets indésirables liés à ces prescriptions.
Les médecins et les patients doivent être rassurés sur l'importance de cette famille médicamenteuse et sur son rôle indispensable en matière de prévention des affections cardio-vasculaires. Le retrait d'une des molécules de la classe médicamenteuse des statines - la cérivastatine - ne doit pas entraîner de rejet massif de la prescription des autres statines aux patients dont l'état clinique rend nécessaire une telle prescription et qui ne présentent pas de contre-indications à l'utilisation de ces médicaments.
Afin de garantir un bénéfice maximal du traitement par statine, les recommandations suivantes doivent être observées :
1. Comme il a déjà été précisé en détail dans l'un des précédents documents de l'« International Task Force for Prevention of Coronary Heart Disease » ( www.chd-taskforce.com ), les traitements par statines doivent être prescrits spécifiquement aux patients à haut risque d'affections coronariennes. On désigne sous le terme de haut risque la présence d'affections préexistantes liées à l'athérosclérose, telles qu'une angine de poitrine ou un infarctus du myocarde. Le traitement de ces patients atteints de manifestations cliniques liées à l'existence d'athérosclérose est qualifié de prévention secondaire.
Les individus exempts de toute manifestation clinique liée à l'athérosclérose peuvent toutefois présenter un haut risque d'événements cardio-vasculaires à moyen terme. Ce risque peut être calculé en utilisant des algorithmes et des scores de risque établis à partir des résultats d'études prospectives à large échelle. La majorité des patients diabétiques peut être considérée comme à haut risque. Le traitement de tels sujets asymptomatiques est qualifié de prévention primaire.
2. Au moment de la mise en route d'un traitement par statine, les patients doivent être informés des effets indésirables potentiels liés à une telle prescription. Des atteintes musculaires, désignées sous le terme de myopathie ou, dans leur forme sévère, de rhabdomyolyse, peuvent se déclarer. Les patients doivent être sensibilisés à reconnaître les signes avant-coureurs de cet effet secondaire du traitement : douleurs ou faiblesses musculaires, coloration brune des urines (qui peuvent prendre une couleur similaire à celle du café). Une atteinte du foie, désignée sous le terme d'hépatopathie, ou des troubles gastro-intestinaux peuvent aussi se produire.
3. Tout traitement par statine doit être accompagné de la prescription d'examens de laboratoire afin d'en contrôler l'efficacité (par la mesure du LDL cholestérol) et d'en surveiller la bonne tolérance (par la mesure d'une enzyme musculaire, la créatine kinase et d'une enzyme hépatique SGPT/ALAT).
4. Chez les patients atteints de maladies intercurrentes telles qu'une insuffisance rénale et/ou chez ceux déjà traités par d'autres classes médicamenteuses - et tout particulièrement les fibrates - les médecins doivent garder à l'esprit qu'il peut exister un effet cumulatif ou des interactions entre les différentes prescriptions. De tels patients doivent bénéficier d'un traitement par des dosages plus faibles en statines, d'une éducation renforcée sur les possibles effets indésirables et d'une surveillance accrue par des examens de laboratoire. La majorité des patients traités par association thérapeutique avec d'autres hypolipémiants doit être adressée à un spécialiste lors de la mise en place du traitement. »
L'« International Task Force for Prevention of Coronary Heart Disease » est un organisme à but non lucratif et les membres de son comité exécutif sont des scientifiques provenant de différents pays.
Le Pr Jean-Charles Fruchart : répondre à la nécessité de rassurer les acteurs de santé
Le Pr Jean-Charles Fruchart, qui est membre de l'Executive Committee de l'International Task Force, nous apporte quelques éclairages sur les objectifs et la portée du texte adopté au niveau international, tout en soulignant que c'est ce texte qui est important dans la mesure où il reflète l'analyse collective des plus grands experts mondiaux de l'athérosclérose et de la cardiologie.
Pouvez-vous nous dire ce que représente l'International Task Force for Prevention of Coronary Disease ?
Pr JEAN-CHARLES FRUCHART
Il s'agit d'un groupe de travail, sans but lucratif, et qui est en quelque sorte le bras armé en matière d'éducation de l'International Atherosclerosis Society et de la World Heart Federation. On peut donc dire qu'à travers son comité exécutif, ses délégués nationaux et l'ensemble de ses 12 000 membres, ce groupe traduit l'état d'esprit des spécialistes du monde entier en matière de lutte contre l'athérosclérose.
Il était donc normal qu'au lendemain du séisme provoqué par le retrait de la cérivastatine, ce groupe réaffirme le caractère irremplaçable des statines, mais aussi la nécessité d'un bon usage de ces médicaments, bon usage qui a pu être transgressé, tout particulièrement aux Etats-Unis.
Il est vrai que ces scores de risque, reposant sur des algorithmes établis à partir des grandes études internationales, ne sont pas encore d'un usage très fréquent dans notre pays. Mais je pense que l'évolution va se faire vite car technologiquement on dispose aujourd'hui des moyens pour les proposer de façon simple et rapide. Une telle évolution est à mon avis essentielle si l'on veut rationaliser davantage l'utilisation des statines en prévention primaire. Enfin, je soulignerai que notre texte mentionne clairement la très grande majorité des diabétiques comme sujette à un risque élevé.
Pas du tout, car, dans le paragraphe précédent, celui consacré aux tests biologiques, il est clairement dit que la priorité doit être donnée à une bonne information des patients auxquels on prescrit une statine... comme, d'ailleurs, tout autre médicament. Une information précisant notamment les signes et symptômes devant faire redouter un effet indésirable ou une interaction.
Le recours aux tests biologiques ne vient que quand le praticien suspecte de telles complications. D'autant que l'on sait que les dosages de CPK, notamment, posent un certain nombre de problèmes pratiques.
Je ferai tout d'abord remarquer que les accidents décrits avec la cérivastatine n'ont concerné que le gemfibrozil mais pas les autres fibrates. Par ailleurs, l'association statines-fibrates apparaît indispensable chez certains malades.
A contrario, le recours à une telle association doit être soigneusement discuté en pesant les avantages et les dangers potentiels. C'est pourquoi, logiquement, nous avons pensé qu'une telle décision ne devait pas être prise sans un avis spécialisé préalable.
Je l'espère très sincèrement car le tumulte déclenché par le retrait de la cérivastatine ne devrait pas compromettre les succès que nous avons enregistrés, grâce aux statines, dans la lutte contre les maladies cardio-vasculaires. Cette terrible péripétie doit, en revanche, nous rappeler à tous, médecins et patients, que des médicaments actifs ont souvent des effets indésirables et que, par conséquent, leur utilisation impose le respect de règles précises, dictées par les essais cliniques et la pharmacovigilance.
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