Le rugby, le jeu à XIII et le football américain sont des sports de balle, dits de collision.
Lorsque la zone de premier impact est céphalique, en particulier au niveau du vertex, le seuil de rupture du système ostéo-ligamentaire cervical peut être atteint avec des conséquences gravissimes pour les structures nerveuses nobles médullaires.
Au rugby, en mêlée, s'affrontent deux packs de huit joueurs exerçant une poussée coordonnée pour le gain du ballon. Cette poussée entraîne chez les joueurs des premières lignes des forces colossales (jusqu'à une tonne) pouvant dépasser largement le seuil de rupture des structures vertébrales si une mauvaise position ou un effondrement se produit.
L'étude biomécanique du Pr Peter Milburn de l'université d'Otago de Dunedin permet d'apprécier la grandeur des forces d'impact générées à la mise en place puis à la stabilisation de la mêlée au niveau des premières lignes en fonction du niveau technique de jeu. Ces forces (de 300 à 800 kgf) dépassent largement le seuil de rupture des structures protectrices ostéo-ligamentaires si elles ne sont plus réparties sur un bloc de joueurs mais sur un individu isolé (talonneur) par suite d'une mauvaise position ou d'une faute technique.
C'est à la suite d'un accident de ce type chez un jeune international de moins de 21 ans, devenu tétraplégique définitif suite à une section médullaire par hernie discale sur sténose canalaire, que nous avons décidé de pratiquer un dépistage systématique d'anomalies congénitales ou acquises pouvant aggraver le risque médullaire en cas d'accident chez les 32 joueurs professionnels du club.
Rapport de Torg et cord-ratio
Le protocole de dépistage proposé comporte plusieurs étapes.
Tout d'abord réalisation de radiographies :
- clichés radiographiques standards de profil strict du rachis cervical ;
- clichés de profil dynamique flexion, extension.
Ensuite des mesures sont effectuées de C3 à C7 :
- diamètre antéropostérieur du corps vertébral dans sa portion médiane ;
- diamètre antéropostérieur du canal rachidien en regard du bord postérieur du corps vertébral à la ligne laminaire ;
- mesure du rapport de TORG (Pavlov) : rapport du diamètre canalaire sur diamètre du corps vertébral, considéré comme normal si égal ou supérieur à 0,8.
Une recherche d'anomalies morphologiques osseuses est effectuée : blocs congénitaux, impression basilaire, odontoïde mobile..., lésions discarthrosiques...
Enfin, des signes d'instabilité sur les clichés dynamiques sont recherchés : décalage de plus de 2,5 mm au niveau articulaire postérieur (accrochages) en flexion, rétrolisthésis en hyperextension...
Valeurs anormales du Torg chez 12 joueurs sur 32
Les résultats de ce dépistage ont montré des valeurs anormales, inférieures à 0,8, du Torg ratio chez 12 joueurs sur 32, à un ou plusieurs étages, en faveur d'une sténose canalaire.
Par ailleurs, en association ou de façon isolée, on constate des anomalies de la statique avec perte de la lordose cervicale physiologique et même inversion cyphotique chez 18 des 32 joueurs ainsi que des signes de discopathies dégénératives ou des lésions de discarthrose chez 13 joueurs.
Dans un deuxième temps, les joueurs suspects de sténose canalaire, associée ou non à des anomalies acquises, ont subi un complément d'imagerie, après un interrogatoire et un examen clinique n'ayant apporté que peu de renseignements objectifs.
Un examen IRM cervical en séquences pondération T1 et T2 sagittal a été pratiqué pour :
- appréciation du signal médullaire et de la place du cordon médullaire par rapport au canal osseux ;
- mesure du cord-ratio, c'est-à-dire le rapport du diamètre antéropostérieur du cordon médullaire par rapport au diamètre antéropostérieur du canal osseux.
Nous n'avons pas retrouvé de signe de souffrance médullaire. Chez deux joueurs, en revanche, a été relevée la présence d'une hernie discale compressive en C4-C5 et C5-C6. Ces deux joueurs ont été opérés par la suite, reconnaissant secondairement avoir présenté des signes de paresthésies et même de paralysie temporaire au cours du jeu.
Syndrome de neuropraxie
Joseph Torg, chirurgien orthopédique, a étudié les accidents graves du rachis cervical et leurs conséquences médullaires dans le football américain avec une étude rétrospective de plus de 1 300 cas d'accident cervicaux entre 1971 et 1976 dans ce sport. Cette étude a entraîné un changement des règles de jeu pour interdire certains types de plaquages (spear tackle) fortement générateurs d'accidents graves.
Il a défini en 1986 « le syndrome de neurapraxie de la moelle cervicale avec une quadriplégie transitoire post-traumatique » et argumente de l'importance de la sténose du canal cervical comme un facteur prédisposant à la contusion médullaire.
Il a donc proposé, sur les clichés standards de profil, la mesure du ratio diamètre antéropostérieur du canal sur le diamètre antéropostérieur du corps vertébral, à l'étage correspondant, comme méthode de détection des sténoses canalaires. On parle de sténose canalaire constitutionnelle au-dessous d'une valeur seuil à 0,8 de ce ratio.
L'intérêt de la mesure de ce rapport, constant même si les mesures directes du corps vertébral et du canal peuvent être légèrement faussées par le facteur d'agrandissement, est sa facilité de réalisation et son faible coût.
Dans un deuxième temps, chez les sujets présentant des anomalies, un bilan IRM sera évidemment indiqué en corrélation avec la clinique.
Aptitudes et contre-indications
L'intérêt du travail de Joseph Torg n'est pas d'avoir découvert un nouvel indice radiologique pour la recherche d'un canal cervical étroit, mais d'appliquer cette notion à une population de sportifs professionnels. Ce qui entraîne des conséquence sur leur aptitude à pratiquer un sport de collision, en fonction d'une classification de contre-indications absolues, relatives ou absentes.
Le deuxième intérêt de l'étude de Torg est d'avoir montré, par une étude biomécanique des impacts cervicaux dans le jeu et de leur conséquences lésionnelles potentielles, la nécessité de modifier et de supprimer certaines règles ou phases de jeu entraînant un trop grand facteur de risque. On a constaté la baisse des accidents tétraplégiques après modification d'une phase de jeu spécifique.
Ce protocole de dépistage radiologique simple a été adopté par la Ligue nationale de rugby à Bordeaux en mai 2002, en accord avec le Pr Sénégas. Il s'applique à tous les joueurs au poste de première ligne des clubs professionnels, particulièrement exposés dans les phases de mêlée, ainsi qu'à tous les jeunes joueurs intégrant les centres de formation professionnels à l'âge de 18 ans.
Le passeport du rugbyman
Par ailleurs, la Fédération française de rugby a élaboré le passeport du rugbyman (Dr Bagate). Il propose des examens de dépistage radiologiques, en fonction de l'examen clinique, au médecin examinateur dans le cadre du certificat de non-contre-indication à la pratique du rugby.
En Nouvelle Zélande, on a enregistré une baisse des accidents graves du rachis cervical depuis la modification de règles de jeu et la mise en place d'un plan de prévention par les sociétés d'assurances (ACC).
Le nombre de blessures cervicales graves a chuté au cours de cette dernière décennie dans le rugby, sport dit de collision, depuis la prise en compte de données d'aptitude physique. Elle repose sur un screening clinique, morphologique et radiologique des joueurs ou futurs joueurs, par une meilleure préparation physique et par la modification de certaines règles du jeu. En témoignent la diminution des accidents graves du rachis cervical dans les phases de mêlée après modification des règles spécifiques et une plus grandes vigilance des arbitres, qui permet d'atténuer l'image négative de ces accidents graves, mais fort heureusement rares, dans ce sport.
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