L'UN DES PREMIERS autoportraits que Spilliaert réalisa, en 1902, est exposé ici. D'emblée, il nous plonge dans une dimension métaphysique : sombre, inquiétant, il est enrichi d'une citation de Nietzsche (malheureusement illisible). Mais nous ne sommes qu'au début de cette série de représentations de soi et, au fil du temps, Spilliaert dévoilera de manière de plus en plus affirmée son caractère «inquiet et fiévreux», comme il le décrit lui-même.
Spilliaert est engagé à Bruxelles en 1902 par l'éditeur et bibliophile Edmond Deman, figure importante du milieu artistique, intellectuel et littéraire du symbolisme belge. C'est dans cet environnement que l'artiste se plaît très tôt à décliner son visage en développant et en expérimentant sur des papiers ou des cartons de multiples techniques : crayon noir, encre de Chine, lavis, plume, crayon de couleur, pastel, gouache, pointe sèche, craie, aquarelle, papiers découpés…
Très vite, dans ces oeuvres introspectives, l'angoisse se manifeste(« Autoportrait dit aux masques »). Tantôt le visage de Spilliaert prend toute la place et s'affirme, avec les modelés de son visage et ses expressions pénétrantes, tantôt l'artiste ne suggère sa présence qu'en dessinant une silhouette en contre-jour. Le décor – une verrière, un bureau… – est austère, dépouillé, ascétique.
Des couleurs sombres composent ces autoportraits, dominés par le brun, le gris et le noir, que vient néanmoins parfois relever une tonalité plus franche (l'azur de l'« Autoportrait au carnet de croquis bleu » ou de l'« Autoportrait aux feuilles mortes »). Un élément, un objet, prend parfois une dimension démesurée, inquiétante et fascinante : des manteaux noirs qui évoquent des ombres de fantômes, un bibelot qui ressemble à une tête de mort, des plantes vertes aux branches tentaculaires…
L'« Autoportrait au miroir » de 1908 marque l'apothéose de cette anxiété. Spilliaert livre une vision cauchemardesque de lui-même : halluciné, spectral, macabre, les yeux exorbités. On pense au « Cri » de Munch. On pense également à la psychanalyse, à tout ce qui incarne le symbolisme fin de siècle. Et, avec plusieurs décennies d'avance, l'artiste belge annonce déjà les films fantastiques de Fritz Lang et du cinéma expressionniste allemand. Spilliaert reviendra à l'autoportrait en 1911, puis en 1927, mais jamais les images du peintre vu par lui-même n'auront été aussi fortes que durant ces premières années du XXe siècle.
Marc Fumaroli estimait que «l'autoportrait est indubitablement le genre le plus troublant de l'art européen». Avec Spilliaert, le trouble est multiplié. Ces effigies, souvent terrifiantes, sont obsédantes.
Musée d'Orsay, 62, rue de Lille, Paris 7e. Tlj, sauf lundi, de 9 h 30 à 18 h. Entrée : 7,50 euros (TR : 5,50 euros). Tél. 01.40.49.48.00. Jusqu'au 27 mai.
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