Souvenirs de ministres

Publié le 14/06/2001
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Simone Veil

Ministre de la Santé- Mai 1974 - juillet 1979 Ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville- Mars 1993 - mai 1995

Ayant, au cours des six années où j'ai exercé les fonctions de ministre de la Santé et des Affaires sociales, ouvert chaque matin « le Quotidien du Médecin » pour y découvrir avec plaisir, ou parfois, ne le cachons pas, avec une certaine irritation, les commentaires tantôt élogieux, tantôt critiques que suscitait ma démarche, c'est volontiers que je réponds à sa demande d'évoquer le meilleur et le pire de mes souvenirs.
Près de quatorze années s'étant écoulées entre juillet 1979, date à laquelle j'ai quitté l'avenue de Ségur pour le Parlement européen, et le printemps 1993 lorsque j'y suis revenue, j'aimerais d'abord souligner que si je retrouvais certains dossiers tels que je les avais connus, en revanche se posaient de nouveaux défis, particulièrement lourds à gérer. La dégradation de la situation sociale du fait de l'aggravation du chômage, et surtout le drame de la transfusion sanguine avaient, entre temps, bouleversé les esprits et les méthodes de travail. La complexité accrue des problèmes et le traumatisme subi par l'administration exigeaient davantage de concertation avec nos différents partenaires, ainsi qu'une vigilance encore plus rigoureuse dans les prises de décisions.
Le pire de mes souvenirs, qui m'a laissée longtemps une réelle amertume, concerne une campagne orchestrée par un professeur de médecine, à l'époque fort écouté, m'accusant d'avoir sacrifié la recherche médicale en étant à l'origine d'une baisse importante de ses crédits. Alors que j'avais, au contraire, obtenu qu'un effort budgétaire supplémentaire soit fait afin de sauver l'Institut Pasteur dont l'avenir était alors menacé, les médias, sans chercher à connaître les arrière-pensées qui pouvaient expliquer cet acharnement, avaient pris pour argent comptant les accusations du mandarin chevronné contre le ministre inexpérimenté.
Les souvenirs plus agréables à rappeler sont nombreux. Outre les réformes que j'ai pu faire voter, au prix de combats difficiles, qu'il se soit agi notamment de l'IVG ou de la lutte contre le tabagisme, je pense aux moments privilégiés partagés avec les habitants des cités, aussi bien à Marseille qu'à Vaux-en-Velin, à Saint-Denis de la Réunion et bien d'autres villes. Alors que les autorités tentaient de me dissuader de me rendre dans des quartiers où ils craignaient que ma sécurité ne soit pas assurée, la rencontre et le dialogue ouvert et chaleureux avec des jeunes de toutes origines étaient très enrichissants et réconfortants, tant ils traduisaient de confiance et d'espoir.

Jacques Barrot

Ministre de la Santé et de la Sécurité sociale
juillet 1979-mai 1981
Ministre des Affaires sociales
novembre 1995-juin 1997

Je vous suggère quelques souvenirs des années quatre-vingt assortis d'un souvenir de 1996.
1980, d'abord, est lié pour moi à des tâches bien difficiles qui s'inscrivaient dans l'exercice de redressement des comptes de la Sécurité sociale. J'avais été chargé, avec, à mes côtés, Jean Farge, de rétablir des finances sociales compromises par la première crise économique. Nous avions essayé, avec les partenaires sociaux, Yvon Chotard, Maurice Derlin, à l'époque responsables de la Caisse nationale, d'assouplir le système des prises en charge pour tenir compte de besoins nouveaux et du très fort accroissement démographique des médecins. C'est ainsi que naquit le secteur II à honoraires libres, pour tenir compte d'un certain mode d'exercice de la médecine et aussi pour mettre un peu plus de souplesse dans le système.
Mais nous étions à une époque où une approche plus libérale de l'économie commençait à se faire jour. Le ministre de l'Economie ainsi que les responsables gouvernementaux jugeaient bien timides ces adaptations. A leurs yeux, il devenait possible de laisser aux professionnels une liberté tarifaire, en se contentant d'un tarif opposable fixé par les caisses.
J'ai dû me battre pour expliquer que nous ne pouvions pas, dans le domaine des soins médicaux, laisser jouer une telle liberté des tarifs sans occasionner de véritables discriminations sociales, incompatibles avec l'esprit de notre Sécurité sociale. Je fus rappelé à l'ordre pour excès de prudence... Ce même grief m'était fait pour avoir mis en garde sur la difficulté de mettre en œuvre le ticket modérateur d'ordre public. Cette aventure me coûta de très nombreuses altercations à l'Assemblée nationale, puisque la plupart, pour ne pas dire presque toutes les sociétés mutualistes, offraient la gratuité complète à leurs assurés. Bref, je garde, de cette période, le souvenir pénible d'avoir eu à me battre sur un double front : à l'extérieur, pour faire accepter des adaptations difficiles, et à l'intérieur, pour récuser le reproche de timidité... Cela m'occasionna parfois des moments de doute et de découragement qui m'apprirent que la réforme empruntait souvent des chemins difficiles...
Mais ces moments difficiles furent compensés par le fait que le président de la République accepta ma proposition de venir parler en conseil des ministres d'une maladie, en l'occurrence le cancer. Je fis ainsi une communication dans laquelle je décrivais ce que pourrait être une politique globale de santé publique à l'encontre d'une maladie dont, déjà, certains parvenaient à guérir, sans pour autant obtenir un droit à réintégration dans la fonction publique ou dans la vie professionnelle. Ce fut pour moi un moment passionnant que la préparation de cette communication en conseil des ministres : j'ai toujours regretté que les problèmes de santé n'aient pas pu ainsi être abordés dans toute leur dimension médicale, sociale et humaine...

Quatorze ans après

Après avoir quitté précipitamment les chantiers de la Santé en 1981, je les ai retrouvés quatorze ans après. Là aussi, de très bons souvenirs se mêlent aux souvenirs plus douloureux. Pour les derniers, je ne suis pas près d'oublier les longues séances d'explications dans les amphithéâtres avec les internes en médecine. J'avais beau essayer de leur expliquer que le mécanisme de régulation qui passait par une réversion d'honoraires était un mécanisme temporaire et qu'il ne fallait pas juger toute la réforme à l'aune de cette régulation. Je parvenais très mal à percer leur scepticisme, voire leur hostilité. Parfois, je finissais par convaincre, mais au prix de quels efforts !
Dans le même temps, j'avais la joie, à travers les trois ordonnances de 1996, d'inventer des outils nouveaux : avec la création des agences régionales d'hospitalisation, avec la consécration des unions régionales de caisses, avec la conception d'une Agence nationale de l'accréditation et de l'évaluation du soin... Ce furent de longues soirées de travail qui furent pour moi stimulantes. Nous avions le sentiment d'inventer de nouvelles voies aptes à nous conduire vers cette médecine de qualité, seule véritablement garante du juste soin et, donc, de la vraie maîtrise des coûts. Mais il a fallu quitter le chantier, trop tôt à mon sens, car il eut été intéressant d'en être aussi les architectes d'exécution. Mais je constate que, en dépit des alternances, nous n'avons pas perdu notre temps, puisque ces outils demeurent et sont peut-être, aujourd'hui, parmi les chances les plus sûres d'une adaptation de notre assurance-maladie.

Jack Ralite

Ministre de la Santé
juin 1981-mars 1983

Il m'est difficile de choisir mon meilleur souvenir du travail au ministère de la Santé tant j'en ai en mémoire. Mais si je dois en singulariser un, je prendrais la question des greffes de moelle osseuse. En effet, c'était un secteur de santé qui, malgré la qualité des personnels qui s'en occupaient, ne parvenait pas à répondre à la demande très importante des nombreux malades. Nous avions travaillé avec le Pr Dausset, prix Nobel, et quelques médecins spécialisés dans ce domaine, qui dirigeaient des services à Lyon, à Paris, à Marseille, à Créteil. La décision prise, qu'ils avaient largement inspirée, consistait à singulariser les cinq services hospitaliers évoqués en les transformant en unité fonctionnelle de greffe de moelle osseuse et en les dotant de moyens humains, matériels et scientifiques nécessaires. Parmi ces moyens, dix infirmières supplémentaires pour chacun de ces cinq services, et trois médecins hospitaliers pour compléter les équipes existantes. Une commission sur les greffes de moelle osseuse présidée par le Pr Jean Dausset était créée au plan national. Des crédits supplémentaires figuraient pour la recherche dans le budget de l'INSERM.
Il faut savoir qu'à l'époque, alors qu'il y avait 800 demandes annuelles, seulement 90 pouvaient être satisfaites. Il était absolument nécessaire de faire, et ce fut salué avec émotion par le Pr Dausset comme par les Prs Gluckmann, Griscelli, Fiere, Maraninchi et Rochant. J'ai vu ce 15 décembre 1983 la joie retenue mais profonde de ces médecins qui étaient de merveilleux intercesseurs-acteurs auprès des malades. C'était une action publique volontariste qui rejoignait un dévouement privé de médecins. Je ne les ai pas oubliés et ne les oublierai jamais, eux qui grâce à ces mesures ont pu sauver des centaines d'enfants.
Si j'ai de bons, de très bons souvenirs, en vérité, je n'ai pas de vrai mauvais souvenir tant pendant cette période, notamment grâce au Tour de France de la santé, mes rapports avec les personnels de santé ont été riches et constructifs. On sentait que tout le monde voulait y mettre du sien avec exigence - comment aurait-il pu en être autrement ! -, mais avec un sens de l'autre, des autres, très significatif. A bien chercher, je pense que quelques médecins se sont alors créé un bien mauvais souvenir un certain 3 mars 1982. Nous animions alors la réforme hospitalière, avec des avancées considérables en matière de couverture sociale et de retraite pour les médecins hospitaliers, le ministère créait 1 500 postes de médecins des hôpitaux de toutes catégories. Il supprimait les lits privés à l'hôpital public. A ce moment, une manifestation sans ampleur eut lieu. S'en détacha un groupe de médecins accompagnés, qui envahirent le ministère, maculèrent mon bureau, fouillèrent dans les papiers, cassèrent le bureau de Jacques Latrille, directeur de cabinet. Ils avouèrent leurs vraies raisons : « Que Jack Ralite cesse d'être communiste et devienne ministre de la Santé, et le mécontentement retombera », déclara au « Panorama du Médecin » l'animateur du commando que, malgré tout, Jacques Latrille reçut.

S. V. J. B.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6937