De notre envoyé spécial
Dire que le pouvoir ne fait rien pour secourir les enfants serait inexact. Mais guère éloigné de la réalité. Patron de la Child Health Division, le Dr S.L. Tapa, un des pontes du ministère de la Santé, à Katmandou, d'une voix monocorde et sans conviction, fait l'article du programme IMCA (Integrated Management National Coordination), un programme qu'il dirige : « IMCA constitue une stratégie lancée par l'UNICEF, explique-t-il. Il nous a fallu dix-huit mois pour l'adapter au Népal. Chez nous, 70 % de la mortalité des enfants jusqu'à l'âge de 10 ans est dû aux diarrhées et aux pneumonies. Des pathologies qu'on sait guérir. Mais nos moyens sont très limités. Depuis décembre 1997, nos crédits ne nous permettent d'étendre chaque année le programme qu'à cinq nouveaux districts. A ce rythme, la totalité du pays ne pourra pas en bénéficier avant 2012. »
45 000 enfants meurent de diarrhées chaque année
Le gouvernement a dégagé un budget annuel de 100 millions de roupies (environ 10 millions de francs) pour cette « priorité des priorités » en santé publique. L'aide internationale ? 600 000 roupies débloquées par les Etats-Unis et 100 000 dollars versés en deux ans par l'Organisation mondiale de la santé. Rien en provenance de l'Union européenne. C'est dire que le concours de PLAN international, l'une des très rares ONG à l'ouvrage dans le pays, est bien accueilli. « Si nous avions l'argent, nous pourrions faire face à ces maladies infantiles dans tout le pays », estime notre interlocuteur. Au lieu de quoi, uniquement par manque de moyens financiers, on dénombre 45 000 enfants qui meurent chaque année ici rien que des suites d'une diarrhée. Et il est impossible de mesurer précisément l'impact d'IMCA. Comme pour se convaincre lui-même, le Dr Thapa hasarde qu'il aurait « cassé la courbe » en faisant tomber de 3,3 à 1,9 le nombre de diarrhées qui affecte en moyenne chaque année un enfant. Des chiffres parfaitement invérifiables.
Une autre courbe, cependant, continue de plus belle sa progression, celle du taux de croissance démographique. Les programmes de contrôle des naissances n'y peuvent rien : + 2,7 % par an. Jusqu'à 3,4 % dans un district comme celui de Banké, dans la région du Teraï, au sud du pays, à la frontière avec l'Inde. On compte communément cinq enfants par famille. 24 % des femmes sont mariées avant l'âge de 16 ans. 540 sur 100 000 meurent en couches, un record du monde.
Chiffres records aussi pour la mortalité infantile : 72 pour 1 000 au cours de la première année d'existence, 100 pour 1 000 jusqu'à cinq ans !
Ceux qui survivent sont, à 50 %, victimes de malnutrition. Et l'analphabétisme, malgré l'école censée être obligatoire, frappe entre 60 et 70 % de la population.
Proies faciles
Les rescapés de cette périssoire deviennent des proies faciles pour les artisans des provinces et les petits industriels des villes. Selon l'association Child Workers in Nepal Concerned Centre (CWIN), une organisation pionnière qui se bat pour le respect des droits des enfants depuis 1987, 2,6 millions d'enfants âgés de 5 à 18 ans travaillent dans des petites et moyennes industries du pays, comme les fabriques de tapis, ou dans les restaurants. Beaucoup également sont employés comme domestiques (pour ne pas dire esclaves) par la classe dirigeante. Dans les campagnes, de plus en plus d'enfants s'adonnent au « bidi-making » (les bidis sont des cigarettes artisanales très bon marché pour lesquelles les petits doigts exercés des enfants font merveille). Les enfants passent jusqu'à six heures par jour à rouler les tiges grossières. Au détriment, bien sûr, de leur scolarité et de leur santé.
Dans ce contexte d'exploitation intensive, les enfants des rues se sont mis à pulluler dans Katmandou. Un phénomène qui est devenu endémique dans tout le pays depuis une quinzaine d'années, selon
Gauri Pradhan, coordinateur éducatif d'un des cinq centres de CWIN à l'euvre dans la capitale. « En quinze ans, raconte ce trentenaire à l'allure athlétique et joviale, la population de la capitale a doublé, passant de 500 000 à un million d'habitants. Pour ces enfants exploités dans les usines avec des salaires dérisoires, la ville représente un Eldorado. L'argent est souvent vite gagné. Un enfant qui va traîner une première fois dans les quartiers touristiques regagnera souvent le domicile familial le soir venu avec 200 roupies obtenues auprès des touristes. C'est bien plus que l'argent gagné par ses parents. Après quelques jours de ce régime, en général une semaine suffit, il fera ses comptes et décidera de ne pas rentrer à la maison, préférant garder pour lui ses quelques sous et se payer des restaurants, des cinémas et de la drogue. En huit jours, ça y est, il est devenu un enfant des rues. »
Ils seraient 1 500 à errer en bande dans Katmandou, nuit et jour, tandis que plus de 5 000 réintégreraient le domicile familial pour la nuit.
Pour Gauri Pradhan, la pauvreté ne saurait expliquer à elle seule le phénomène. « C'est le délitement de la famille qui est la cause de tout le mal. Beaucoup de pères s'adonnent à l'alcoolisme, avec un méchant alcool de riz dont la consommation augmente partout, dans toutes les castes de la société népalaise. »
« Katmandu is not good for you ! »
Selon les chiffres publiés par CWIN, une famille sur deux est touchée par le fléau. 78 % des enfants sont victimes de mauvais traitements psychologiques, 6,7 % subissant des tortures et des violences physiques. 5 % sont entraînés à leur tour dans la consommation d'alcool. « Il y a aussi les mères de famille qui se prostituent, les abus sexuels en tous genres, les incestes qui augmentent, ajoute l'éducateur . Face à cette désintégration du système familial, nous nous battons avec un unique message : "Katmandou is not good for you !" Il faut faire comprendre aux enfants que la rue, c'est les drogues, les overdoses, les accidents, les blessures, les brûlures et les bagarres au couteau entre petits gangs. Sans parler des gastros, car ils achètent et consomment n'importe quoi. »
Avec son coquet jardinet et sa pelouse tondue de frais, le centre de transit de CWIN accueille au maximum 22 enfants, qui ont entre 5 et 16 ans. Ils séjournent au maximum de trois à six mois dans la grande bâtisse impeccablement tenue, le temps que les éducateurs retrouvent d'où ils viennent. 80 % réintègrent alors leur famille. Les autres rejoignent, quand c'est possible, un autre centre CWIN. Mais pour toute la mégapole, seuls 700 enfants auront pu être pris en charge au cours des trois dernières années. Avec un budget mensuel de 3 000 roupies par enfant.
A les voir s'adonner à d'endiablées parties d'arts martiaux, semblables à tous les élèves dans toutes les cours de récré du monde, ou disputer des parties de ping-pong avec leurs éducateurs, ceux-là, visiblement, ont perdu toute velléité de retourner à la rue. Eux sont à l'abri. Momentanément.
A l'abri, en particulier des « pimms », les trafiquants d'enfants. Pour Mameena Khatun, 21 ans aujourd'hui, tel ne fut pas le cas. Silhouette gracile enveloppée dans son sari rouge, le sourire mélancolique encadré de longs cheveux bruns, elle n'a jamais fréquenté l'école. A 13 ans, elle travaillait à l'usine, dix heures par jour pour quelques roupies. « Une fille que je croyais être une amie est venue me parler de l'Inde, raconte-t-elle. Elle m'a expliqué que je pouvais y gagner beaucoup d'argent sans peine et m'acheter de beaux vêtements. A la sortie de l'usine, elle m'a fait boire un breuvage qui m'a à moitié endormie. Quand j'ai repris mes esprits, j'étais à Bombay. On m'avait enfermé dans une pièce où on m'a laissé sans nourriture pendant deux jours, jusqu'à ce que j'accepte de m'occuper des clients. » Pendant un an, Mameena sera à l'abattage dans ce bordel indien. A l'occasion d'une descente de police, elle est jetée à la rue. C'est là que des éducatrices de WOREC (Women Organization for Reinsertion) la repèrent et lui font repasser la frontière népalaise. Six ans ont passé. Avec deux compagnes d'infortune, Aruna, 20 ans et Bipana, 17 ans, elles aussi réchappées des bordels de Bombay, Mameena est devenue une permanente de WOREC. Elle fait du théâtre de rues dans Katmandou, pour sensibiliser les femmes au sort des victimes du trafic.
« Notre travail est surtout axé sur la prévention, explique le Dr Renu Rajbhandary, 40 ans, présidente de WOREC-Népal, ancien praticienne à l'hôpital. Car il est très difficile de "récupérer" les victimes du trafic. En onze ans, nous en avons sauvé seulement 115. »
Un résultat qui semble dérisoire, rapporté à l'étendue du fléau. Officiellement, chaque année, entre 5 et 7 000 petites Népalaises, la plupart impubères, seraient expédiées en Inde. Mais ce chiffre, de l'avis des ONG, doit être multiplié au moins par dix. Le trafic se propage en même temps que l'extrême pauvreté qui sévit en particulier dans la partie orientale du sud du pays. Les « pimms » ont encore de beaux jours devant eux, malgré la politique de lutte contre le trafic que le ministère des Femmes et de la Sécurité sociale a lancée officiellement en 1997. La corruption qui sévit partout et spécialement dans la police est telle qu'à ce jour aucun pimm n'a encore fait l'objet de la moindre condamnation.
Repères
- Superficie : 199 000 km2 (un peu plus d'un quart de la France), 1 690 km de frontières avec l'Inde, au sud, et 1 236 avec la Chine, au nord.
- Population : 24,5 millions d'habitants (40 millions prévus en 2025).
- Capitale : Katmandou (1 million d'habitants).
- Espérance de vie : 57 ans.
- PNB : 220 dollars par habitant.
- Régime : monarchie parlementaire depuis 1990. Le Parti communiste du Népal a déclenché une guérilla révolutionnaire pour obtenir l'instauration de la République.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature