DE NOTRE CORRESPONDANTE
UNE FOIS PAR AN, le Chru de Lille organise une journée de réflexion éthique en collaboration avec la faculté de médecine. Cette année, le thème proposé était : « L’acharnement thérapeutique ». Et le grand amphi de l’institut Gernez-Rieu n’a pas suffi à accueillir les très nombreux participants. Preuve que la question de l’acharnement suscite toujours de fortes interrogations chez les soignants.
Comment donner du sens à la poursuite des traitements, qui décide en dernier recours, et quel soutien apporter aux familles, mais aussi aux équipes soignantes ? Autant d’aspects abordés au cours de cette journée.
Le sens de son travail, Stéphanie Pierret, infirmière au service de soins intensifs des maladies de l’appareil digestif du Chru de Lille, en doutait chaque fois qu’elle était confrontée à des cas dramatiques. «Pour certains malades, il était dit clairement qu’il ne fallait pas les réanimer en cas d’arrêt cardiaque et, pourtant, on poursuivait des traitements invasifs inutiles et qui pouvaient durer des jours. Nous étions encore dans du curatif alors que, dans notre esprit, nous devions passer à du palliatif. Face à cela, plusieurs d’entre nous étaient en pleine incompréhension.»
Distinguer soins et traitement.
Les soignants de ce service ont alors engagé un travail de réflexion en collaboration avec l’équipe mobile de soins palliatifs du Chru. «Nous avons reprécisé les notions d’arrêt de traitement, d’euthanasie, de soins. Et le fait d’éclaircir tout cela dans notre tête nous permet de faire les choses de manière plus sereine, confie la jeune infirmière. Aujourd’hui, nous faisons la distinction entre soins et traitement: même si nous ne pouvons plus traiter le patient, nous devons rester de bons soignants, ce qui permet de valoriser notre présence auprès du malade. La dégradation physique des patients est toujours une source de souffrance pour l’équipe. Si nous pouvons améliorer leur confort et leur qualité de vie, nos soins prennent alors du sens.»
Plusieurs participants l’ont souligné, la souffrance des soignants n’est pas assez prise en compte. «La nuit, nous sommes 2infirmières pour 18malades. Personne à qui passer la main. Nous sommes seules face à nos angoisses. Il faut prendre sur soi et essayer d’évacuer son stress et ses peurs. La nuit est angoissante pour tout le monde.»
Souffrance, aussi, chez cette infirmière dans un service de cardio-infantile, face à la douleur des familles : «Comment expliquer aux parents que la machine est devenue inutile, alors qu’ils étaient rivés au tracé cardiaque de leur enfant, comme accrochés à leur dernier espoir. C’est difficile de trouver les mots. Et, pourtant, lever le côté invasif des soins permet de redonner un côté naturel à la fin de vie. Plus tard, les familles nous en remercient.»
Le travail avec l’équipe mobile de soins palliatifs permet de changer la pratique courante des soignants et de ne pas garder des gestes systématiques. «Inutile de maintenir le masque à oxygène ou le tensiomètre s’ils ne sont plus nécessaires. Nous adaptons nos instruments et nos thérapeutiques à chaque situation, explique une infirmière. Même la toilette peut être reportée si elle est source de douleur.»
Une approche nouvelle qui ébranle bien des certitudes chez les soignants. «L’acharnement thérapeutique nous confronte à nos limites, confie le Pr Jean-Pierre Jouet, chef du service des maladies du sang au Chru, l’échec de notre médecine et les limites du pouvoir. En tant que médecins, nous ne sommes pas préparés à cela. Notre formation nous a appris à “guérir” (to cure en anglais) plutôt qu’à prendre soin (to care) . Pour un praticien, il est plus simple de poursuivre un traitement que de l’arrêter.»
Face à l’injustice de la maladie et l’illégitimité de la mort, le renoncement est difficile. Surtout dans une spécialité comme l’onco-hématologie, où l’on se trouve rarement dans une impasse thérapeutique. «Il y a toujours quelque chose à faire. Du coup, on a une grande tendance à la fuite en avant, poursuit Jean-Pierre Jouet. On passe alors du “raisonnable” à ce qu’il est “possible” de faire.»
Pas plus que nos autres décisions, celle de poursuivre un traitement n’échappe aux contingences humaines. «Nous ne cessons de prendre des décisions déraisonnables dans notre vie, pourquoi la médecine échapperait-elle à cela? questionne le philosophe Marc Grassin. Le rapport que l’on a avec le malade n’est pas une réalité en soi, il est l’ensemble des représentations qu’en ont le médecin, la famille, l’infirmière. A un moment, il existe nécessairement une subjectivité. Et l’une des représentations l’emporte.»
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