DANS UN MONDE où la mort est taboue, mais où son évocation indirecte est permanente, de la peur de vieillir à celle de la solitude, de la maladie en passant par le débat sur l'euthanasie. Dans un monde occidental où le manque de rites se fait de plus en plus cruellement sentir ; où le monopole médical de la mort est venu remplacer le religieux, où l'on cherche à avoir plus qu'à apprendre à perdre. Dans un tel monde, parler de la mort, a fortiori concrètement, semble presque incongru. C'est pourtant ce que s'est risqué à faire le collectif d'une centaine d'auteurs réunis par Michel Hanus, Jean-Paul Guetny, Joseph Berchoud et Pierre Satet dans un ouvrage passionnant qui parvient à aborder ce sujet difficile sans angoisser son lecteur. «Il faut penser la mort pour aimer mieux la vie –en tout cas pour l'aimer comme elle est: fragile et passagère et cela fait pour cet ouvrage une justification suffisante», écrit le philosophe André Comte-Sponville dans sa préface.
Des philosophes, des historiens, des psychiatres, des psychanalystes proposent donc de «penser la mort» ; des médecins, des religieux, des juristes et même des acteurs du domaine funéraire évoquent l'accompagnement de la fin de vie, la célébration des funérailles, la traversée du deuil en analysant les divers rites du souvenir, les croyances dans l'au-delà, les rapports des vivants avec le défunt. Fait rare dans un ouvrage collectif de ce type, la qualité des divers textes est homogène et le contenu parvient – soit dit sans mauvais jeu de mots – à rester vivant. Des extraits littéraires (poignants textes de Christian Bobin, de Noëlle Chatelet racontant le deuil de sa mère), des dossiers pratiques sur les démarches à entreprendre après un décès, sur les funérailles, des textes religieux, des idées de rites laïques ou des informations sur les associations d'aide aux endeuillés illustrent habilement l'ensemble et permettent une lecture à multiples entrées. On y trouve même un relevé des expressions et mots de l'argot sur le sujet dans lequel l'historienne Jacqueline Lalouette souligne avec humour la tendance de la langue verte à euphémiser la mort, puisque, dit-elle, les morts continuent de vivre «en mangeant les pissenlits par la racine et en fumant des souches». Oser parler et imaginer de nouvelles modalités pour intégrer la mort à la vie, car «cette mort interdite» à laquelle nous assistons «bouche cousue» ne nous rend ni plus heureux, ni plus libres, ni plus légers, souligne avec force le philosophe Damien Le Guay. Parler, partager consoler. Certes, mais ces louables projets sont plus faciles à imaginer qu'à concrétiser car, comme le souligne cet auteur, commotionné par le chagrin, le coeur est muet, d'où l'intérêt de disposer d'outils d'expressions sous la forme de codes, rites, habitudes, médiations pour «faire oeuvre de décompression». Une grammaire funéraire aujourd'hui presque absente et dont la disparition fait le lit de ce qu'il est convenu d'appeler les deuils pathologiques.
Apprentissage de la perte.
Marie-Frédérique Bacqué, psychologue, professeur de psychopathologie clinique à l'université Louis-Pasteur de Strasbourg, auteur de l'ouvrage collectif précédent et dont les travaux sur le deuil et ses conséquences psychosomatiques sont bien connus, propose une réflexion sur les deuils et séparations en général. Dans un style limpide et sans pathos, elle nous parle de la mort d'un proche mais aussi des divorces, de la perte de la santé, de la jeunesse, ou du travail. Pour analyser ce qui caractérise une réaction normale à la perte, le cheminement qui y mène, les obstacles et les soutiens possibles évoquant les groupes de parole, les divers outils contemporains de l'indispensable solidarité face au manque et proposant des pistes de réflexion pour « apprivoiser la mort », comme dans son précédent livre éponyme. Apprendre à mourir n'est pas une idée nouvelle ; les philosophes de la Grèce antique en avaient même fait un de leurs sophismes. Aujourd'hui, pourtant, rien ne nous y prépare alors que «notre expérience pourrait nous conduire à davantage de sagesse et nous permettre, dès notre enfance, d'appréhender une sorte de pédagogie de la mort», écrit-elle, soulignant par ailleurs notre besoin individuel et collectif de rites funéraires et de représentations collectives de la mort. Pourtant, nos fêtes rituelles d'aujourd'hui autour de la naissance, du mariage ou de la mort relèvent davantage de l'échange commercial que du passage à témoins, déplore-t-elle. Les rites sont plus destinés aux survivants qu'aux défunts. En somme, il s'agit de faire quelque chose ou chacun puisse se retrouver au moment où la parole est empêchée par le choc de la disparition.
Solidarité, expression, partage, communion affective, autant de moyens indispensables pour bien vivre le deuil, nous expliquent ces auteurs. Car pour aborder la mort sagement et sainement, notre société devrait faire du devoir de communion un devoir de santé publique, disent-ils, ce qui n'empêche pas chacun, au contraire, d'inventer sa propre réponse.
« Le Grand Livre de la mort à l'usage des vivants », sous la direction du Dr Michel Hanus, Jean-Paul Guetny, Joseph Berchoud et Pierre Satet, Albin Michel, 465 pages, 27 euros. « L'Un sans l'autre - Psychologie du deuil et des séparations », Marie Frédérique Bacqué, Larousse, 220 pages, 19,90 euros.
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