La société Telectronics (devenue TPLC) a mis sur le marché des sondes auriculaires, accessoires à des stimulateurs cardiaques, utilisant la technique du fil de rétention. A la suite de problèmes liés à la rupture du fil de rétention ayant entraîné le décès de plusieurs patients, ces sondes ont été retirées du marché en 1994. Il fut alors décidé d'augmenter la surveillance médicale des porteurs de ces sondes. Mais, devant le risque représenté par la défectuosité des sondes, certains patients ont préféré prendre l'initiative d'une explantation. Ceux qui ont subi des complications à la suite de l’explantation ont demandé réparation de ce préjudice à la société TPLC.
Le tribunal de grande instance de Lyon avait fait droit à cette demande, par une série de jugements en date du 2 décembre 2002. La Cour d’appel de Lyon, saisie par la société TPLC, a infirmé ces décisions, par une série d’arrêt en date du 25 novembre 2004. La Cour d’appel a reconnu le défaut de conception des sondes souligné par l'expert. Mais elle a décidé que le retrait de la sonde, décidé à titre préventif par les patients, n’était pas nécessaire. Pour la Cour d’appel de Lyon, la défectuosité de la sonde n’était pas à l’origine du préjudice physique subi par ces patients. La défectuosité de la sonde avait seulement eu pour effet de les exposer à un risque qui ne s’était pas réalisé et qui ne pouvait donc donner lieu à réparation. Certains patients ont alors intenté un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a pris une position médiane, qui n’a satisfait personne.
Pas de préjudice physique
La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir refusé la réparation des préjudices physiques résultant de l’explantation. Cette solution est décevante pour les patients, qui se voient refuser toute indemnisation des préjudices, parfois lourds, consécutifs à l’explantation de la sonde. Elle nous paraît en outre discutable au plan juridique. Il est vrai que la certitude du préjudice est une condition de la réparation et que le préjudice éventuel n’est pas réparable. Mais en l’espèce le préjudice n’est pas éventuel, mais bien réel : certains patients ont subi de lourdes complications à la suite de l’explantation de la sonde ! Dans ces conditions, la certitude du préjudice ne fait aucun doute. En réalité, la vraie difficulté dans cette affaire tient à l’existence du lien de causalité entre la défectuosité des sondes et le dommage subi par les patients. L’explantation de la sonde ayant été décidée par les patients, ne faut-il pas considérer que ceux-ci sont, par leur initiative, à l’origine du préjudice physique qu’ils ont subi ? Dans l’affirmative, ceux-ci ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes… Une telle analyse paraît sous-jacente, tant dans les décisions de la Cour d’appel de Lyon que dans les décisions de la Cour de cassation. Cette dernière relève que, à la suite de la défectuosité des sondes, « il avait été convenu d’augmenter la surveillance médicale des patients porteurs de telles sondes » et que le changement de sonde avait été effectué « à titre préventif et sans preuve que cette surveillance aurait été insuffisante ». Pourtant, à y bien réfléchir, cette analyse n’est pas admissible. La décision des patients de faire procéder à l’explantation de la sonde ne résulte pas d’un choix arbitraire de leur part. Elle a été dictée par la volonté des patients d’échapper au risque de rupture du fil de rétention. Cette décision parfaitement compréhensible doit donc être considérée en réalité comme une conséquence de la défectuosité des produits. il y a donc bien un lien de causalité entre la défectuosité de la sonde et le préjudice physique subi par les patients. On ne voit donc pas ce qui justifie le refus des juges d’indemniser le préjudice physique.
Un préjudice moral
La Cour de cassation a en revanche admis l’existence d’un préjudice moral, en guise de « lot de consolation » (P. Jourdain, revue trimestrielle de droit civil, 2007, p. 352) pour les patients. Elle a censuré la décision de la Cour d’appel de Lyon et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris. Celle-ci a décidé que l’annonce de la dangerosité potentielle de la sonde a pu, en soi, causer un préjudice indemnisable. L’annonce de la dangerosité de la sonde a « inéluctablement créé chez eux [les porteurs de sondes] un sentiment d’angoisse entraînant un dommage certain » et cela même si le « risque statistique » de blessure ou de décès était très faible. Il en est résulté un préjudice moral, qui doit être indemnisé.
Cette décision mérite nous semble-t-il une pleine approbation. On ne peut pas ne pas tenir compte de la situation d’angoisse vécue par les personnes concernées. Cette situation caractérise un préjudice moral : un « préjudice d’angoisse » selon les termes employés par certains avocats. Il reste à évaluer le préjudice moral, ce qui relève du pouvoir d’appréciation des juges. En l’espèce, la Cour d’appel de Paris a semble-t-il tenu compte des particularités de l’affaire. Chaque patient a perçu, à titre d’indemnisation, une somme variant de 5000 à 10 000 € selon les cas. L’indemnisation du préjudice moral constitue au final un « lot de consolation » non négligeable.
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