L'AUDACE EST UNE QUALITE tant qu'elle n'entraîne pas une catastrophe. Entourée par des conseillers aux idées visionnaires mais très théoriques, George W. Bush n'a pas manqué d'ambition lorsqu'il s'est lancé dans son assaut contre l'Irak, qu'il considérait alors comme la suite logique d'une campagne de pacification commencée en Afghanistan.
Comment a-t-il le front de dire aujourd'hui que le courage, la détermination et le savoir-faire militaire sont ses vertus cardinales de candidat à un second mandat ? Plus de cinq cents soldats américains et dix mille Irakiens sont morts au nom d'un projet qui, près d'un an après la guerre, a fort peu progressé par rapport au lendemain de la bataille.
Finir la guerre.
Le courage, aujourd'hui, n'est plus de faire la guerre, mais de la finir, à défaut d'établir la paix. M. Bush ne nous dit pas les incroyables contradictions de sa politique : d'abord il a menti ou s'est laissé circonvenir par des excités, au sujet d'armes de destruction massive qui étaient en réalité inexistantes ; ensuite, s'il a réussi à gagner une guerre avec une troupe relativement petite, il a perdu la pacification à cause du manque d'effectifs ; comme il est candidat, il ne veut plus qu'il y ait des morts dans les forces américaines, de sorte que, loin de combattre les terroristes, elles s'enferment dans d'immenses forteresses d'où elles ne sortiront pas avant les élections ; enfin, M. Bush n'a ni renoncé à sa politique, ni désavoué ses associés : le vice-président Dick Cheney, principal responsable de la mésaventure irakienne, fait, contre John Kerry, une campagne arrogante et sans complexes ; M. Bush a lancé un vaste projet de réforme des institutions au Proche-Orient pour y créer des démocraties parlementaires, comme si une réforme aussi large pouvait venir de l'extérieur. Ses conseillers (aucun n'a démissionné) sont toujours à l'œuvre : ils poursuivent leur rêve d'un monde arabe rénové et dynamique, mais le monde arabe ne fera rien qui lui sera suggéré par l'Amérique.
Coupés du monde.
Tout se passe comme si la Maison Blanche et le Pentagone vivaient isolés, coupés des réalités du monde et de la volonté du peuple américain ; ce mépris de l'opinion a causé la chute du gouvernement Aznar. M. Bush, pendant plus de trois ans, n'a jamais reconnu une erreur, même pas celle des ADM, qui est pourtant flagrante. Comme disait Lincoln, on peut tromper le peuple de temps en temps, on ne peut pas le tromper tout le temps.
Le problème immense qui se pose aujourd'hui est le suivant : si M. Bush n'est pas compétent pour diriger le monde civilisé, qui va le faire ? Car souligner les carences du pouvoir aux Etats-Unis, ce n'est pas ignorer les terribles menaces qui pèsent sur nous et au nom desquelles le président américain a cru bon de faire sa campagne d'Irak. Ce n'est pas davantage oublier les attentats du 11 septembre que les Européens, commodément, ont enseveli au fond de leur mémoire lorsqu'ils ont dénoncé la guerre ; ce n'est pas ignorer que Ben Laden court toujours ; que des assassins tuent aux quatre coins du monde, et en Europe aussi ; que les terroristes sont passés du coup de main à l'assassinat de masse ; et que nul d'entre nous n'est à l'abri, les Espagnols en savent quelque chose.
EXERGUE
PARADOXALEMENT, BUSH A AFFAIBLI LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME
Dans les neuf mois de mandat qu'il lui reste, M. Bush ne pourra pas mettre un terme aux attentats à la voiture piégée en Irak ; il ne pourra pas rétablir la totalité des services, ni augmenter la production de pétrole à son niveau d'avant-guerre ; ses représentants ne sont pas les plus qualifiés pour organiser la concertation pacifique des ethnies et religions irakiennes.
L'unité irakienne menacée.
N'est-il pas temps qu'il prenne conseil auprès des Européens ? N'est-il pas temps que la force d'occupation soit remplacée par une force de l'ONU ? Et n'est-il pas nécessaire d'admettre le point de vue des chiites, qui, forts de leur nombre (60 % de la population irakienne), réclament des élections aussitôt que possible ? N'est-il pas temps, aussi, de confier la sécurité du pays à une force armée irakienne, militaires ou policiers ?
M. Bush n'a pas les moyens de sa politique. Il a été incapable de rétablir l'ordre. Il laisse les terroristes exterminer des groupes entiers de civils. Il a commis l'erreur de dissoudre l'armée de Saddam.
S'il accepte quelques-unes des idées européennes, il peut rapatrier ses troupes ou pacifier l'Afghanistan, un autre travail qu'il n'a jamais achevé.
Certes, la mise en œuvre d'un processus politique irakien sera un exercice plein d'aléas. C'est cependant le moins mauvais des choix. Et après tout, on a assez dit que l'occupation risquait d'aboutir à une guerre civile en Irak. Ce n'est pas le modèle des « experts » du Pentagone qui a fonctionné, c'est celui des Européens : Saddam éliminé, l'unité de l'Irak volera en éclats. M. Bush peut-il nous convaincre aujourd'hui qu'il est capable de maintenir cette unité et qu'il va faire de l'Irak un modèle pour le reste du Proche-Orient ? Non seulement, il ne peut pas, mais il a paradoxalement affaibli l'indispensable combat contre le fléau terroriste.
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