INTERROGER les contes, les légendes, les mystères, composer des fragments de récits en autant de chapitres, c’est pour Thérèse Delpech aller chercher dans le passé la clef des malaises individuels et collectifs d’aujourd’hui. N’est-ce pas ce que faisait Freud avec Œdipe ou Narcisse ?
Or les histoires ont fait choix de la folie comme vecteur dominant. Folie que la colère d’Achille qui inaugure la guerre de Troie. C’est le bel Ajax, vainqueur d’Hector et des Troyens, qu’Athéna choisit de ridiculiser en le rendant fou : il passe une nuit à massacrer des animaux. Comme Œdipe victime des dieux, il se suicidera en se jetant sur l’épée qui a fait sa gloire. C’est « des cieux » que partent les histoires grecques, comment ce peuple a-t-il pu être réduit au Logos ?
Folie meurtrière d’Hamlet qui semble faire écho à celle du spectre-père venu errer dans le froid et la nuit sur les remparts d’Elseneur. Ce ne sont plus les Dieux qui participent au carnage, mais une malédiction qu’Hamlet perpétue. Folie de Lear, qui aime autant l’une de ses filles qu’Hamlet aime sa mère.
Folie enfin qu’annonce chez Shakespeare la colère des vents et de la Tempête, et les prophètes juifs dans l’Ancien Testament.
Certes, montre bien Thérèse Delpech, ces prophètes n’annoncent pas que la colère et la vengeance pour le peuple élu infidèle, mais la douce venue d’un rédempteur. Par là même, les juifs sont condamnés à un messianisme asymptotique: plus les catastrophes s’amoncellent et plus elles dérobent vers la fin des temps une réparation possible. Aussi, dit l’auteur, « le judaïsme est-il inséparable d’une aspiration à l’impossible et d’une tendance à considérer que tout est toujours à venir. »
Le choix du mystère.
Ce serait une erreur de penser que si la confusion et l’horreur règnent ici-bas, la science a pu, avec Galilée, Kepler et Newton, trouver quelque apaisement dans les cieux. L’auteur, qui a occupé d’importantes fonctions au CEA, ne se voit pas mise en péril par l’astronomie ou la mécanique quantique. En effet, la science a écrit un curieux roman tissé d’illogisme : l’attraction, quoi de plus magique par définition que cette action à distance ? La confusion règne pour distinguer la structure de la lumière, onde ou corpuscule ? Deux en un. Mais combien sont-ils dans le Saint-Esprit, tente l’auteur, narquoise, trois en un ?
Difficile de ne pas être perturbé par un ouvrage qui rend difficile la recherche de son domicile. On lui reprochera toutefois de faire trop facilement le choix du mystère plutôt que celui du problème. Comment dire, par exemple, même avec I. Bashevis Singer, que les juifs furent, lors de la Shoah, « au contact de forces mythiques archaïques » ?
Enfin, le livre part d’un présupposé qui peut sembler lui-même très discutable. Tout, dans nos modes culturelles – médecines parallèles, goût de l’ésotérisme mêlé de métaphysiques d’Extrême-Orient, retour des sorciers et chamans – permet de douter de l’existence d’un pesant rationalisme. Jamais les salons consacrés à l’ésotérisme n’ont rencontré autant de succès. Et combien d’ex-gourous travestis en coach ?
› ANDRÉ MASSE-STAMBERGER
Thérèse Delpech, « l’Appel de l’ombre - Puissance de l’irrationnel », Grasset, 174 p., 13 euros.
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