La santé en librairie
« Doit-on soigner une maladie ou un malade ? », la question est posée dans un ouvrage collectif, coordonné par Jean-Pierre Alix (secrétaire général du Mouvement universel pour la responsabilité scientifique), Laurent Degos (hématologue) et Dominique Jolly (fondateur de l'Institut d'études des politiques de santé) à la suite d'un séminaire pluridisciplinaire.
L'organisation des systèmes de santé échappe pour l'instant à toute évaluation, faute de méthode capable d'emporter l'adhésion de tous, médecins, politiques et consommateurs. Les données issues de l'Evidence Based Medecine (EBM) permettent aux médecins de réduire leurs incertitudes mais ne lui font pas pour autant entendre la voix du malade qu'il a à soigner. Elles procurent aux décideurs des données chiffrées mais ne les renseignent pas sur les aspirations du citoyen et du consommateur en matière de santé.
La société doit décider quel type d'informations est capable de cerner les valeurs des patients tout en respectant un niveau de preuve scientifique suffisant, de façon à influencer positivement et efficacement les décisions politiques, explique le Dr Philippe Loirat (réanimateur, président du Conseil scientifique de l'ANAES). L'EBM, qui a tenté d'établir des classifications fondées sur des niveaux de preuves, suppose l'usage d'une méthode critique. A cette condition, l'utilisation de ces références externes peut être une aide précieuse pour le médecin, sans pour autant remplacer l'expertise personnelle qui permet justement de décider si ces références externes s'appliquent ou non à un cas particulier. « Il existe donc bien un usage de l'EBM par le médecin humaniste, et on ne peut opposer une médecine technocratique à une médecine humaniste », dit le Pr Pierre-François Plouin (cardiologue et vice-président de la Commission de la transparence). L'EBM, utilisée de cette façon, est donc peut-être, pour l'instant, comme la démocratie, le moins mauvais de tous les systèmes !
Savoir-faire et savoir-être
A condition de savoir manier le « discernement », explique le Pr Degos, c'est-à-dire la capacité de reconnaître la maladie derrière les symptômes, mais également de discriminer entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas, pour faire le bon choix thérapeutique dans chaque cas particulier. Car la fonction du médecin est double, estime-t-il, il détient un savoir, qu'il est tenu de remettre à jour, mais est aussi un être de relation avec son malade. C'est bien du refus des pouvoirs publics de reconnaître la fonction d'être de relation du médecin, en qui « l'on ne voit plus qu'un délivreur d'ordonnances, d'arrêts de travail ou de certificats », que naît le malaise que nous vivons actuellement. La crise de la relation entre médecin et malade n'est pas une crise personnelle, affirment en effet la plupart des auteurs de cet ouvrage.
« Entre 1940 et la fin du siècle, un processus évolutif a transformé le rapport au corps, à la douleur, à la mort et au monde. Le médecin se trouve donc face à un objet différent, avec une autre pratique, dans une société qui n'a plus les mêmes références (...). Par ailleurs, les quatre grands pouvoirs de notre société moderne, qui ne connaissent pas, ou peu, de contre-pouvoir - médias, industrie, administrations, science -, ont modifié la relation entre le médecin et le malade », dit l'épistémologue Michel Serres. C'est pourquoi « le médecin doit avoir l'esprit de discernement et l'esprit critique, à la fois quand il s'agit du choix de traitement pour son patient, mais aussi quand il s'agit de suivre des recommandations ou de lire des publications scientifiques. Il soigne un malade et non une maladie », poursuit L. Degos. Avis largement partagé par M. Serres, qui propose un retour à un humanisme au sens le plus traditionnel du terme, par le biais de la culture et pourquoi pas de la littérature. La faculté de médecine forme des « instruits incultes », affirme-t-il, alors que les professeurs devraient expliquer à leurs étudiants qu'ils seront capables de comprendre la souffrance d'une jeune veuve s'ils ont lu « Andromaque », et de reconnaître mieux que personne un paranoïaque après la lecture du « Terrier » de Kafka !
Le Pr Bernard Hoerni, cancérologue, livre, lui aussi, une réflexion sur les « discordances entre les attentes des patients et de la société, bercés par des messages médiatiques spectaculaires, et les réponses apportées par le système de soins ». Pour ce faire, il a choisi d'examiner la médecine sous trois angles : ce qu'offre la science dans ce domaine ; ce que l'individu et la société lui demandent ; et ce qui en résulte en pratique dans la relation médecin-malade. Plus d'une centaine de thèmes sont abordés pour évoquer la complexité et les multiples facettes de la pratique médicale contemporaine. Qu'il s'agisse de secret médical, de justice, d'euthanasie, de prévention, d'éducation sanitaire, de formation permanente, de médecine et de droit ou d'humanisation des hôpitaux, la médecine est avant tout une relation d'échanges dans laquelle le risque zéro n'existe pas plus que la sécurité absolue, nous dit B. Hoerni. L'incertitude est une notion importante en médecine dans laquelle il faut voir « non seulement une composante de notre condition, mais aussi un élément constitutif de notre liberté ». Le versant scientifique de la médecine s'est accentué au détriment de la relation humaine, mais le triangle hippocratique réunissant le malade, sa maladie et le médecin demeure, explique le cancérologue. A nous de trouver de nouvelles alliances médicales et de concilier savoir-être et savoir-faire : « Le savoir-faire est déterminant pour la pratique médicale. La science de guérir ne saurait gommer l'art de soigner. »
Le livre intéressera les médecins et les non-médecins, les malades et les citoyens en général, tous ceux conscients du fait que la médecine se « trouve au cur d'une humanité en constante transformation ».
« Doit-on soigner une maladie ou un malade ? », Jean-Pierre Alix, Laurent Degos, Dominique Jolly, Médecine-Sciences Flammarion, 68 pages, 19,50 euros.
« Les Nouvelles Alliances médicales », Flammarion, 256 pages, 20 euros.
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