« C'est toi le docteur, c'est toi qui sais ! » Par tradition culturelle, les Africains, comme les Asiatiques, répugnent souvent à expliciter, voire désigner le siège précis d'une douleur, « et cela pose problème dans le cadre d'une consultation médicale », reconnaît Isabelle Lévy, formatrice en milieu hospitalier. Son dernier livre, « Croyances et laïcité », présenté au début de décembre à Lyon (1), a donc été rédigé comme un guide des cultures et des religions à l'intention des soignants.
Avant de devenir formatrice, Isabelle Lévy était chargée de gérer les dossiers de plaintes qui parvenaient à la direction de l'AP-HP. Or, en écoutant les doléances exprimées par les patients, elle s'est vite aperçue que la méconnaissance des traditions culturelles et religieuses par le personnel soignant pouvait être à l'origine d'incompréhension, et donc nuisible à la qualité des soins. Car, si les positions des principales obédiences en matière d'euthanasie, d'avortement ou de transfusion sont relativement bien connues, elles restent souvent ignorées lorsqu'il s'agit d'actes médicaux quotidiens.
Tout peut commencer par une demande extrêmement simple, formulée par le médecin ; « dire au patient de s'allonger sur la table d'examen », cite l'auteur. « Or, pour un musulman, poursuit-elle, se mettre sur le ventre, c'est adopter la position des damnés de l'enfer ! De même que pour un Africain, s'allonger sur le dos symbolise la mort. Le problème devient donc vraiment complexe lorsqu'il s'agit d'examiner un patient africain de religion musulmane ! »
Teintées d'humour, les remarques d'Isabelle Lévy révèlent néanmoins des situations où seule l'observation des réactions du malade et de son conjoint permet de proposer des solutions intelligentes. Par exemple, lorsque des musulmans refusent que leurs épouses se déshabillent pour être examinées : « Le seul fait de regarder une femme est considéré comme une tentative de séduction », rappelle Isabelle Lévy qui suggère donc la présence d'une tierce personne qui se portera garante du bon déroulement de l'examen.
Mauvais sort
D'autres refus, comme celui de se soumettre à un examen d'imagerie médicale, sont à relier aux traditions religieuses : « Ces investigations sont souvent considérées comme des intrusions dans le domaine du sacré, par certains juifs orthodoxes, musulmans ou Africains », rappelle l'auteur. « Or, il ne faut jamais montrer ce que Dieu a caché aux yeux », interprète-t-elle.
Pour obtenir une meilleure coopération du patient, elle préconise d'éviter de lui montrer les clichés obtenus. Une simple explication orale suffit. La réalisation de prélèvements peut également entraîner une certaine résistance, notamment chez les patients d'origine africaine qui peuvent imaginer qu'un tradipraticien s'en empare pour y jeter un mauvais sort. Le site où est prélevé le sang peut revêtir une certaine importance. Le bras droit sera préféré au bras gauche, car il est le côté de la pureté par excellence chez l'hindou, le juif ou le musulman.
La reconnaissance et la prise en considération de la religion des malades participent donc au bon déroulement des soins. « C'est d'ailleurs une obligation légale dans tous les établissements publics dont les hôpitaux font partie », conclut l'auteur de ce guide, en citant l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation de l'Église et de l'Etat.
« Croyances et laïcité », Editions Estem, 495 pages.
(1) Rencontres Bristol-Myers Squibb de cancérologie privée du 7/12/02.
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