Aide humanitaire

Soigner aussi la détresse psychologique

Publié le 07/09/2003
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« La qualité des soins qui réparent mais qui ne permettent pas de fonctionner doit être dépassée », car, estime Jean-Hervé Bradol, président de Médecins sans frontières, « privée de ses composantes psychologiques et psychiatriques, la médecine entraîne trop peu souvent le retour à une vie relationnelle ». L'affirmation vaut sans doute pour tous les domaines de la médecine, mais elle a de quoi surprendre lorsqu'il s'agit de médecine humanitaire.

A la suite d'un colloque international, en mars 2002, sur le thème « Trauma, soins et culture : agir et penser en situation humanitaire », MSF publie un ensemble de textes sur le sujet. L'ouvrage, intitulé « Soigner malgré tout », est coordonné par Thierry Baudet, psychiatre chargé de superviser les missions psy de MSF.
L'idée de s'occuper de la santé mentale est une idée relativement neuve pour les ONG : « Le premier programme de MSF en la matière, mené par Marie-Rose Moro, date d'il y a à peine quinze ans, lors de notre intervention en Arménie en 1988, à la suite du séisme de Gumry », raconte-t-il. Au début, certains se posaient la question de la légitimité de ce genre d'interventions : « C'est du luxe » comparé aux besoins urgents de médicaments, de vivres ou d'abri ; « ils en auraient tous besoin ».
Aujourd'hui, les mentalités ont évolué et l'observation, sur le terrain, de nombreux cas de détresse psychologique a fini par convaincre de la nécessité d'un soutien psychologique parallèlement à l'aide médicale, nutritionnelle ou logistique. « Pour les personnes qui ont subi un traumatisme, les soins physiques ne suffisent pas toujours. Certains éprouvent le plus grand mal à reprendre le cours de leur vie, à se projeter dans l'avenir. Et c'est parfois l'efficacité même des soins qui est en jeu », poursuit le Dr Baubet.
Depuis dix ans, MSF intervient dans des situations de violence extrême : violence organisée dans le cadre d'une guerre, civile ou non (Bosnie, Kosovo, Tchétchénie, Afghanistan, Congo-Brazzaville) ; violence infligée par les catastrophes naturelles ; violence provoquée par l'exclusion (Chine, Arménie ou Madagascar).
Le livre, à travers des exemples concrets, tente de répondre aux questions soulevées par ce type d'interventions : peut-on soulager les souffrances psychiques alors que les causes du traumatisme et la violence environnante sont toujours présentes ? Les différences culturelles entre ceux qui soignent et ceux qui sont soignés rendent-elles impossibles les soins psychiques ?

Réanimation psychique

Le Dr Christian Lachal, qui a travaillé en Palestine, en Sierra Leone et au Pérou, explique que, dans les situations de guerre en cours, on est plus dans la « réanimation psychique » que dans le curatif ou le préventif.
L'animation de groupe de parole permet une prise en charge collective où chacun peut s'exprimer. Parler fait du bien, mais « il ne faut pas tout psychiatriser. » Toutes les personnes qui ont vécu un événement traumatique ne relèvent pas de la psychiatrie. Certains ont simplement besoin d'être écoutés. Le groupe de parole est aussi là pour détecter les personnes qui ont besoin d'un suivi plus poussé. L'efficacité des thérapies brèves proposées justifie ce type d'intervention : « Je ne dis pas que cela suffit à faire disparaître tous les symptômes, mais cela permet aux victimes de sortir d'un état de sidération psychique où elles sont incapables de penser à autre chose qu'à leur traumatisme », explique le Dr Baubet.
Quant à la dimension transculturelle, elle doit être prise en compte dans la mise en place de programmes de soins. La manière dont les symptômes sont extériorisés ou sont vécus dépend du contexte culturel, en dépit des « universaux » et « invariants » de la réponse psychique. « Cela nécessite de la part des psychiatres et psychologues de la curiosité et de la souplesse, la capacité de pouvoir mettre en place des dispositifs originaux et métissés, adaptés au contexte, et la capacité à penser à la fois l'universalité du psychisme et la spécificité culturelle. ».

« Soigner malgré tout », T. Baubet, K. Le Roch, D. Bitar, M. R. Moro, tome 1, « Traumas, cultures et soins », Ed. La Pensée sauvage, 20 euros. Le tome 2 , « Bébés, enfants et adolescents dans la violence », devrait sortir cet automne.

Dr Lydia ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7377