La dernière réunion de la Commission paritaire nationale (CPN) s’est tenue jeudi, au siège de la CNAM avec, à l’ordre du jour, un point sur la mise en œuvre du paiement sur objectifs de santé publique : ce fameux P4P à la française qui, depuis le 1er janvier, a été adopté par 97 % des cabinets. Depuis 8 mois, le dispositif récompense les bonnes pratiques des médecins sur la base de 29 critères concernant la gestion du cabinet, le suivi des pathologies chroniques, la prévention et la maîtrise des dépenses de santé.
Depuis le départ, il se veut évolutif, ce qui signifie qu’il pourrait bien changer de look à l’horizon 2013-2014. À l’heure du premier bilan, Le Généraliste a fait le tour des propositions envisagées par la Sécu, mais aussi par les syndicats, le Collège de médecine générale, les experts de l’IGF et de l’IGAS… En résumé, voici les six tendances qui se dessinent pour les années à venir. Pour le meilleur ou pour le pire…
1- Muscler le volet prévention
Le mot d’ordre est dépistage. En suivant cette tendance, des nouveaux indicateurs pourraient bien, dans un nouveau P4P, venir étoffer le volet « prévention-santé publique ». Pour l’heure, seul le dépistage du cancer du sein et celui du col de l’utérus sont, en effet, pris en compte et chaque item ne rapporte que 35 points sur un total de 1 300 aux généralistes qui ont adhéré au dispositif. Pas assez pour les inciter à sensibiliser leurs patientes ? Dans son rapport sur « les charges et produits pour l’année 2013 », publié cet été, la CNAM souhaiterait aussi que le dépistage précoce du cancer colorectal par test immunologique soit intégré dans le P4P. Elle estime, d’ailleurs, que l’optimisation du dépistage pourrait lui permettre d’économiser 150 millions d’euros rien que sur les coloscopies. Dans la même optique, la Caisse proposait d’inclure la surveillance du pied diabétique dans le P4P et visait, plus généralement, la mise en place de « programmes intensifs d’accompagnement en matière d’alimentation et d’activité physique ».
Dépistage, hygiène de vie… une affaire de santé publique ? En mettant l’accent sur la prévention la Sécu espère surtout faire des économies. Mais comment être sûr que les patients respecteront les incitations de leur médecin traitant ? C’est une des questions qui suscite le plus de critiques côté syndicats. À ce jour, en effet, certains bilans, examens biologiques, voire certains vaccins faits dans le cadre hospitalier, ne sont pas pris en compte dans le calcul de la rémunération. Or le président de la CSMF, Michel Chassang, réclame que ces examens soient « comptabilisés ». Dans le même sens, Christian Jeambrun cite l’item « dépistage du cancer du sein » parmi les plus problématiques et se plaint que la Sécu ne fournisse pas aux médecins les outils nécessaires pour évaluer leurs pratiques. « Aujourd’hui, les médecins ne peuvent pas avoir accès aux noms de leurs patientes qui se soumettent à une mammographie. La Caisse est hermétique sur ce sujet alors qu’elle demande aux professionnels de santé d’inciter les femmes à se faire dépister », regrette le chef de file du SML. Il ne s’agit pas seulement d’une revendication syndicale. En juin dernier, le Collège de Médecine Générale (CMG) estimait que le calcul de la rémunération associée à la mammographie pose problème : « Si une patiente refuse de faire une mammographie alors que nous lui avons conseillé de le faire, le médecin ne doit pas être pénalisé pour cela », expliquait, pour le Collège, le Dr Pascal Charbonnel.
2- Optimiser la prescription
Le « tout générique », c’est le dada de l’Assurance Maladie. Pour atteindre les 85 % de prescription dans le répertoire, elle a poussé la barre très haut avec les pharmaciens. Pour les médecins, l’actuel P4P va assez loin dans cette direction : l’item « génériques » est celui qui rapporte le plus de points, 290 plus précisément, alors que le vaccin antigrippe n’en rapporte, lui, que 40, tout comme le contrôle de l’hypertension. Visiblement, la CNAM ne compte pas s’arrêter là dans l’incitation des médecins à une prescription « plus efficiente ». D’autant que certains experts s’interrogent sur le rendement effectif du dispositif : « Une évaluation du montant des économies générées par l’amélioration des pratiques (...) doit être entreprise afin de consolider la légitimité de ce type d’outils?», observait, sibyllin, un rapport commun des deux Inspections (IGF et IGAS) remis cet été au gouvernement. De son côté, la Sécu aimerait bien accélérer le mouvement : « Des actions d’optimisation de la prescription de médicaments doivent être poursuivies » peut-on lire dans le rapport de l’Assurance-maladie remis cet été. Le générique pourrait-il demain prendre encore plus de place dans le P4P ? C’est à voir. Si Claude Leicher de MG France se montre plutôt favorable aux médicaments génériques, Jean-Paul Hamon, lui, soutient que le médecin peut avoir ses raisons pour privilégier les princeps?: allergies, risque de confusion en raison d’une forme galénique différente (surtout pour les personnes âgées), effet nocebo…
3- Adapter le forfait au territoire
Comme son prédécesseur le CAPI, le P4P fait peu de cas des situations particulières et de la diversité de la pratique. Au Collège de médecine générale (CMG), mais aussi dans les syndicats, on trouverait pourtant logique de moduler le forfait en fonction du territoire et de la patientèle… Ainsi, Claude Leicher voudrait introduire dans le paiement à la performance ou P4P – que le président de MG France préfère appeler « rémunération sur objectifs de santé publique – d’une part une « modulation géographique » du forfait et de l’autre « une modulation en fonction des populations traitées ». On pourrait imaginer par exemple que la rémunération soit revue à la hausse pour les médecins qui travaillent en zone désertifiée ou qui ont une patientèle difficile. Un P4P plus juste ? En tout cas, l’idée d’une prise en compte de la structure de la patientèle, afin de moduler les objectifs et les adapter à l’hétérogénéité des situations sur le terrain, revient aussi dans le rapport de l’IGAS-IGF. Chaque médecin libéral, suggère-t-il, ou chaque groupe de professionnels de santé, se verrait assigner des objectifs qui « tiendraient compte de la taille de la patientèle, de sa structure d’âge, de la prévalence des pathologies et des patients atypiques ».
4- Coller davantage à la pratique du terrain
Le Dr Olivier Saint-Lary, généraliste à Port-Marly, dans les Yvelines, a interrogé, dans le cadre de ses recherches, des médecins généralistes ayant adhéré ou non au CAPI et au P4P : « Ce qui revient comme obstacle, observe-t-il, est l’impression que les indicateurs aient été décidés en haut lieu, à la Caisse, qu’il y ait du flou et qu’eux-mêmes, les médecins, n’aient pas eu leur mot à dire ». Les médecins, mais aussi les sociétés savantes, seraient-ils les grandes oubliées du P4P ? « Aujourd’hui, les indicateurs proposés par la Sécu reflètent la consommation des soins présentés au remboursement et non la pratique effective du médecin », relève le Dr Saint-Lary qui a présenté ses recherches lors du dernier Congrès de la médecine générale à Nice. Il souligne un paradoxe : « La CNAM n’a pas accès aux données cliniques ». Conséquence : « La Caisse sera ainsi amenée à considérer comme hypertendus tous les patients qui ont reçu un traitement par bêtabloquants alors que ces médicaments sont prescrits dans des indications validées autres que l’hypertension », souligne-t-il.
Le Pr Hector Falcoff (CMG) est du même avis. Si, pour lui, les indicateurs peuvent être des « moteurs positifs de changement?», il faut « qu’ils puissent être mesurés par les médecins eux-mêmes ». En outre, le Pr Falcoff souhaiterait que le médecin puisse exclure certains patients « pas éligibles » qui pourraient plomber les statistiques, tout en continuant à les soigner : « Il faut que le médecin puisse déclarer des exceptions », réclame-t-il. Une « participation plus importante des autorités scientifiques » à l’élaboration et à l’amélioration des indicateurs, en particulier de la Haute autorité de santé (HAS), est également souhaitée par le leader de la Conf’, Michel Chassang, qui appelle à son intervention en vue d’un prochain bilan du P4P, « ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent », regrette-t-il.
5- Prendre en compte les spécificités de la profession
Si le volet « organisation du cabinet » fait tout de même gagner au médecin généraliste 400 points – un progrès par rapport au CAPI – il n’y a pas, à ce jour, de véritable indicateur consacré à la coordination des soins. Claude Leicher l’évoque : « On pourrait introduire un élément de valorisation pour les médecins qui travaillent avec d’autres professionnels de santé, à condition que cette collaboration soit formalisée », précise-t-il. Le président de MG France souligne que cet item n’est pourtant pas la priorité et qu’il interviendrait seulement « ensuite ». « L’organisation de l’offre des soins est le point prioritaire. Elle doit privilégier le tissu des médecins en exercice. »
Dans la même optique, le CMG demande que des thèmes tels que la qualité de la relation et la gestion des problèmes lourds et complexes, comme le suivi d’une personne en fin de vie, soient pris en compte dans le P4P. D’autres « fonctions essentielles » à la médecine générale, comme par exemple la coordination des soins et le travail en équipe devraient, selon le CMG, être intégrés dans le dispositif. Tandis que Michel Chassang, préférerait, lui, que le P4P du futur évolue dans le sens d’une « simplification ». Le patron de la Conf’ se plaint du fait que, pour certains items, le calcul des points soit « compliqué ». Il souhaiterait, en outre, que le taux de télétransmission nécessaire à remplir cet objectif (il est actuellement de deux tiers) soit « revu » à la baisse.
6- Sanctionner les récalcitrants
Le P4P et le CAPI ont été « vendus » aux médecins comme un bonus, un coup de pouce, une sorte de treizième mois. Et l’argument a visiblement fait mouche. Et si on introduisait demain un malus en cas de non-respect des objectifs ? Ne souriez pas. C’est à peu près ce que prônent l’IGAS et l’IGF dans leur récent rapport « Propositions pour la maîtrise de l’ONDAM ». Un document qui a quand même traîné tout l’été sur les bureaux des décideurs… Certes, les hauts fonctionnaires ne se réfèrent pas explicitement au dispositif actuel de paiement à la performance. Mais les « objectifs médicalisés de prescription » qu’ils suggèrent de négocier avec tel ou tel cabinet y ressemblent beaucoup. « Ces objectifs seraient au départ, indicatifs, mais pourraient à terme devenir plus contraignants et faire l’objet d’éventuelles sanctions en cas de dépassement », lit-on dans le rapport qui suggère de faire d’abord porter les objectifs individuels sur les prescriptions de médicaments, avant de les élargir à la biologie, aux IJ, aux transports, voire aux soins paramédicaux.
Même si les hauts fonctionnaires de Bercy ou de l’avenue de Ségur rêvent « d’un outil plus ambitieux » de paiement à la performance, le P4P de deuxième génération qui signerait la fin de la liberté de prescription n’est pas pour tout de suite. Le rapport des deux Inspections vise, d’ailleurs, plutôt l’horizon 2017… Quant à vos syndicats, ils ne semblent pas prêts à apposer leur signature sur un dispositif comme celui-là. Quand on lui pose la question, Michel Chassang souligne volontiers que pas un pays adepte de la rémunération sur objectif n’a jusque-là osé y adjoindre un volet coercitif…
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