Ayodele a aujourd'hui 10 ans. Elle en aura bientôt 11 et, bien qu'elle ne le sache pas, elle a été trahie. Sa vie est largement identique à ce qu'elle pouvait être pour une fille de son âge en 1990. L'enfant travaille dur. Elle doit piler le grain pour le repas du soir. C'est loin d'être son premier travail de la journée. Elle a déjà rempli d'eau quatre grands vases qu'elle a rapportés sur sa tête jusqu'à la demeure familiale. Elle a aidé aux travaux des champs, nettoyé la maison et s'est occupée de ses jeunes frères et soeurs.
En dix ans pourtant, la vie d'Ayodele aurait dû s'améliorer sensiblement. Les présidents et autres chefs d'Etat qui s'étaient réunis à New York, en septembre 1990, à l'occasion du premier Sommet mondial pour les enfants, s'était engagés à « garantir une vie meilleure à tous les enfants ». Ils étaient convenus d'atteindre, avant l'an 2000, des objectifs ambitieux : réduction de la mortalité infantile, progrès de la vaccination, éducation de base, etc. « Les progrès sont inégaux », déplore l'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'Enfance), dans son rapport sur « la situation des enfants dans le monde 2002 »*, qui sera présenté au deuxième Sommet des enfants, reporté au mois de mai 2002. Ce document fait état de « progrès remarquables » et « d'échecs décourageants ».
Des objectifs ont été atteints, du moins dans certaines zones, comme la réduction d'un tiers, entre 1990 et 2000, des taux de mortalité infantile et de mortalité des moins de 5 ans. Selon l'UNICEF, plus de 60 pays y sont parvenus, notamment la plupart des pays de l'Union européenne et d'Afrique du Nord et beaucoup de pays d'Asie orientale, d'Océanie, des Amériques et du Moyen-Orient. Globalement, la réduction a été de 14 %. C'est inférieur à l'objectif fixé, mais c'est un « progrès important » accorde l'UNICEF. Chaque année, trois millions d'enfants de plus qu'il y a dix ans vivent au-delà de leur cinquième anniversaire. Doit-on parler d'objectif atteint en ce qui concerne la réduction de moitié du taux de malnutrition des enfants de moins de 5 ans ? Là encore, les disparités sont évidentes. Quand l'Amérique du Sud dépasse l'objectif, le reste du monde n'affiche en moyenne qu'une réduction de 17 %. En Asie, où vivent plus des deux tiers des enfants souffrant de malnutrition dans le monde, la baisse des taux de malnutrition a été modeste, passant de 36 % à 29 %, tandis qu'en Afrique subsaharienne « le nombre absolu d'enfants atteints de malnutrition a en fait augmenté », souligne l'UNICEF. Et dans un autre secteur, celui de l'accès à l'eau potable et aux moyens hygiéniques de traitement des excréments, « on ne s'est même pas rapproché des objectifs fixés ». Il reste 1,1 milliard de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable et 2,4 milliards qui vivent sans installations d'assainissement adéquates, l'immense majorité de ce dernier groupe se trouvant en Asie.
Polio, diarrhée et mortalité maternelle
Néanmoins, soyons justes, note en substance l'UNICEF : la poliomyélite est éradiquée dans plus de 175 pays, le Cambodge ayant éliminé cette maladie en trois ans seulement, en dépit d'obstacles redoutables. Par ailleurs, sur l'ensemble de la décennie, les cas de rougeole ont diminué de près des deux tiers et le nombre de décès dus à la diarrhée est en baisse de 50 %. L'UNICEF considère cependant qu'il reste beaucoup à faire. La poliomyélite subsiste à l'état endémique dans 20 pays. En Afrique subsaharienne, plus de la moitié des enfants de moins de 1 an ne reçoivent pas le vaccin DCT3. Dans plus de 15 pays, moins de la moitié des enfants sont vaccinés contre la rougeole. Enfin, la diarrhée est l'une des principales causes de décès chez l'enfant.
Avant les enfants, les femmes sont les « grandes » perdantes du pari lancé il y a dix ans. « Aucun progrès sensible » en ce qui les concerne, lance l'UNICEF. « Rien ne permet de penser que les taux de mortalité maternelle aient sensiblement baissé au cours de la dernière décennie. » Seulement 29 % des femmes en Asie du Sud et 37 % en Afrique subsaharienne bénéficient de soins obstétricaux.
L'organisation des Nations unies rappelle les propos de l'ancien président sud-africain, Nelson Mandela : « Tout pays, toute société qui ne se soucie pas de ses enfants n'est en aucune façon une nation. » L'UNICEF demande donc aux nations de s'engager à nouveau en faveur d'objectifs concrets concernant la santé de l'enfant, la lutte contre le VIH/SIDA et la protection des enfants contre les mauvais traitements, l'exploitation ou la violence. Aujourd'hui, elle s'inquiète des conséquences de l'arrivée de l'hiver en Afghanistan sur les enfants, davantage fragilisés par la situation de guerre dans le pays. Actuellement, plus de 300 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque année en Afghanistan de rougeole, diarrhée, pneumonie, associées à la malnutrition. « Si vous ajoutez cela au froid, au manque de vêtements et d'abri, la situation devient particulièrement sérieuse », indique l'une des porte-parole de l'UNICEF à Genève, Wivina Belmonte.
Les conflits sont l'un des principaux obstacles qui se dressent sur le chemin des droits de l'enfant et l'UNICEF lance un appel à la protection des enfants dans les conflits armés. Le VIH/SIDA en est un autre. « Le VIH/SIDA est en train d'anéantir les efforts déployés par tous les pays du monde pour donner la priorité au développement humain et aux droits des femmes et des enfants », dit l'UNICEF, qui met en cause le manque d'initiative et de dynamisme des pays industrialisés pour combattre ce fléau, mais qui attend également des pays africains « qu'ils sachent donner les impulsions nécessaires ».
* « La situation des enfants dans le monde 2002, prendre l'initiative », disponible au Comité français de l'UNICEF, tél. 01.44.39.77.77, e-mail : unicef@unicef.asso.fr.
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