De notre correspondant
Le langage utilisé par les médecins est souvent ésotérique, pour ne pas dire hermétique, pour beaucoup de patients cultivés. Le problème devient aigu quand le corps médical s'adresse à des illettrés, des étrangers ou des handicapés.
Aussi l'Institut de médecine va-t-il concentrer son étude principalement sur les patients assurés dans le cadre de Medicaid (programme pour les pauvres) et de Medicare (pour les plus de 65 ans). On peut compter par dizaines de millions les immigrants de fraîche date ou trop âgés pour avoir appris l'anglais et que le contact avec un praticien américain intimide. Le colloque singulier prend alors une tournure dangereuse. Si le patient ne sait pas répondre aux questions du médecin, le diagnostic ne peut pas être posé. S'il se trompe sur le dosage des médicaments prescrits - ou s'il en prend un à la place de l'autre -, il risque parfois sa vie. Les cas ne sont pas rares d'hospitalisation du patient immigré, âgé ou illettré, qui s'est trompé de remède ou de dosage.
Ces patients commettent des erreurs parce qu'ils ne savent pas lire ou bien parce que, bien qu'ils sachent lire, ils font une confusion entre médicaments, souvent contenus dans des flacons d'apparence identique. Le Dr David Baker, de Chicago, a largement examiné ce problème. « L'illettrisme, déclare-t-il au "Quotidien" est une affaire compliquée parce que les patients illettrés sont capables de lire quand ils en prennent le temps, mais ils ne comprennent pas ce qu'ils lisent. Ils sont complexés, ne savent pas s'adresser au médecin et la question est : comment allons-nous leur donner la capacité de poser les bonnes questions au docteur ? Comment allons-nous les tirer de l'embarras où ils se mettent parce qu'ils n'osent pas avouer leur illettrisme ? »
Un adulte américain sur cinq n'a pas le niveau du certificat d'études, alors que tout ce qu'on peut lire sur une boîte ou flacon de médicaments relève du niveau des lycéens. Dans le cas des immigrés, l'anglais est souvent impénétrable. Aussi, quand un médecin leur parle de « tumeur bénigne », au lieu de leur dire « ce n'est pas un cancer », ou leur demande de prendre une pilule « par voie orale », au lieu de dire de l'avaler, ils sont plongés dans une extrême perplexité. Ils ne savent pas exactement en quoi consiste leur maladie et ils ne savent pas davantage comment se soigner. « Vous seriez très surpris, par exemple, explique le Dr Baker, de ce que beaucoup de patients auxquels le médecin recommande trois prises de médicaments par jour ne comprennent pas qu'ils doivent le faire au petit déjeûner, au déjeûner et au dîner. »
On a déjà pensé à des solutions : traduction des instructions dans les langues autres que l'anglais et les plus courantes aux Etats-Unis, en particulier l'espagnol. On projette de remplacer les instructions par des images et, surtout, on essaie de mettre un nouveau langage médical qui soit à la portée de tous les patients, non seulement les étrangers ou les illettrés, mais les Américains, en particulier les plus âgés.
En Floride, les Laboratoires Pfizer ont lancé la Florida Health Literacy Study, qui n'est pas vraiment une étude, mais une expérience. Deux mille huit cents patients, tous atteints de diabète ou d'hypertension et assurés par Medicaid, ont été enrôlés dans vingt-sept centres communautaires. Pendant deux ans, la moitié de ces centres dispensera les soins comme partout ailleurs. Dans l'autre moitié des centres, les patients suivront des cours et recevront des brochures très illustrées en anglais ou en espagnol, qui leur expliqueront leur maladie et les moyens de la combattre. On a déjà adapté le langage de ces ouvrages aux patients. Au lieu d'« uriner », on dit « faire pipi ».
On verra si l'aide ainsi apportée à la compréhension du diagnostic et du traitement fera une différence au bout de deux ans. Mais l'Institut de médecine estime qu'il ne faut pas attendre pour que le corps médical se rapproche des patients et qu'il prenne soin de parler à la personne âgée, à l'illettré ou à l'étranger dans un langage intelligible.
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