«NAUFRAGE» pour De Gaulle, «tare» selon Mitterrand, la vieillesse est mal vue et douloureusement vécue en milieu hospitalier comme en Ehpad (établissement d’hébergement pour per- sonnes âgées dépendantes). Ici, «on tue les vieux», écrit le Pr Jacques Soubeyrand, gériatre à l’Assistance publique de Marseille, dans un livre-enquête documenté, coécrit avec Dominique Prédali, journaliste, et Christophe Fernandez et Thierry Pons, respectivement président et coordonnateur de l’Association française de protection et d’assistance aux personnes âgées (Afpap)**.
«Plus le patient est vieux, plus il attend aux urgences.» Le ton est donné, dès les premières lignes. Le lecteur, qui ne découvre souvent que ce qu’il sait déjà, ne reprendra pas son souffle avant d’avoir tourné la 267e et dernière page. «Non seulement le vieux monsieur de 88ans est resté pendant huit heures sans soins sur un brancard dans le couloir, mais l’urgentiste s’en est pris à sa fille: “C’est facile d’envoyer les gens aux urgences, votre père, ce n’est pas une urgence !” Ce patient non urgent est mort le lendemain.»
«Le coût de la prolongation de la vie, le coût des soins sont les paramètres de la comptabilité à laquelle doivent se plier les hôpitaux», commentent les auteurs. D’où les «refus d’admission en réanimation des plus de 75ans», les «euthanasies clandestines, commises la plupart du temps sans le consentement du malade ni celui des familles», ou encore les patients «privés de sédation-analgésie, lors du décès» (1 sur 2, d’après une étude à Henri-Mondor, à Créteil).
En même temps, les anciens sont «pénalisés defacto par le barème unique», quels que soient leur âge et les soins dont ils ont besoin. Une infection pulmonaire, pour laquelle on «ne doit pas dépasser cinq jours d’hospitalisation, soit 1500euros», impose une prise en charge «beaucoup plus lourde» pour le patient âgé que pour un jeune adulte. «Le système est d’autant plus pervers qu’un malade mal soigné qui ne reste pas longtemps et qui revient souvent pour de courtes périodes rapporte plus que celui pour lequel le médecin aura pris le temps d’éviter les réhospitalisations», affirment encore les auteurs . De même, un jeune cancéreux devenu dépendant se retrouvera dans un service aigu ou de moyen séjour, remboursé à 100 %, tandis qu’un vieux ira en long séjour et devra payer le prix d’hébergement de 100 euros.
Les plus mal lotis seraient les «déments agressifs». Pourtant, leur agressivité «est souvent elle-même induite par les comportements des soignants», qui, affirme un psychiatre, «ne changent pas les couches ni les alèses pour que les patients aient des escarres et meurent plus vite».
Quant à ceux qui «survivent à l’hôpital», on les recase dans des «maisons de retraite inadaptées». Elles sont «toutes sous-médicalisées, leurs pensionnaires sont dénutris et presque tous surmédicamentés, pour avoir la paix», n’hésitent pas à affirmer les auteurs. Pendant la canicule, «les neuroleptiques et les benzodiazépines ont largement contribué à la déshydratation des victimes», estiment les auteurs.
La « marchandisation » des anciens.
Tout s’expliquerait économiquement. «La Sécurité sociale doit répondre aux accidents de la vie», mais «la vieillesse n’en est pas un», disait Jean-François Mattei, ancien ministre de Santé. Il s’ensuit que «les économies réalisées au détriment du bien-être des vieux dans les hôpitaux et dans les maisons de retraite, gérés comme des entreprises à but lucratif, ne sont pas perçues comme des formes de maltraitance». Les auteurs, eux, parlent d’un «génocide silencieux perpétré grâce aux incohérences et aux maltraitances» qui font tous les ans «plus de morts que la canicule» de 2003.
«Nous ne jetons pas l’opprobre sur l’ensemble des établissements, nous dénonçons simplement une atmosphère d’ensemble, explique au “Quotidien” le Pr Jacques Soubeyrand, 64 ans, pour qui l’absence de politique définie en gériatrie, épinglée à deux reprises par la Commission européenne, «ouvre la porte à des dérives». «Dans le service de médecine interne et de gériatrie que je dirige à l’AP de Marseille, je vois arriver d’établissements privés des personnes dans un état de grave délabrement physique (avec des escarres profondes) , psychologique et moral, que nous requinquons avec des moyens très limités et beaucoup d’investissement des personnels, avant de les renvoyer là d’où ils viennent, au grand dam de leurs familles.»
«Le marché gérontologique est une manne, il devrait représenter 30milliards d’euros pour 2020.Déjà, la marchandisation de la personne âgée est en place», observe le gériatre . Des délocalisations des patients seraient même dans l’air du temps. En Allemagne, un projet prévoit d’envoyer en Hongrie les malades à un stade avancé d’Alzheimer, le personnel local y coûte moins cher. «Je me devais de tirer la sonnette d’alarme et, en tant que professeur de médecine, j’ai la responsabilité de ne pas raconterdes histoires», insiste le Pr Soubeyrand, qui a abandonné ses droits d’auteur. «Un changement de direction n’est possible que s’il y a une volonté politique, conclut-il. Il faut prendre des mesures de salubrité, tant économiques que sociales, pour que nos anciens fassent l’objet d’une prise en charge qui leur assure une fin de vie digne et sereine.» Et sans gériatres en nombre suffisant*** – «la spécialité apparaît tellement peu glamour (qu’ils) sont deux fois moins nombreux que les chirurgiens esthétiques»– à quoi bon devenir vieux, puisque que la vieillesse conduit inéluctablement à la maison d’hébergement du coin ou à l’hôpital le plus proche.
* " On tue les vieux ", de Christophe Fernadez, de Thierry Pons, de Dominique Prédali, du Pr Jacques Soubeyrand, Fayard, 270 pages, 19 euros.
** Tél. 0.800.020.528,www.afpap.org*** Sans oublier les personnels, comme les aides-soignants, dont les effectifs ont été divisés par trois en vingt ans.
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