DÈS LES PREMIÈRES images, la bête noire de Michael Moore, Bush Junior, apparaît. Mais, cette fois, le président des Etats-Unis est moins en cause qu'un système mis en place par Nixon et que Clinton, qui avait chargé son épouse Hillary du dossier, a lui-même dû renoncer à réformer, celui des assurances de santé privées. Ayant lancé un appel à témoignages sur Internet*, Moore en a immédiatement reçu des milliers et il nous en livre quelques-uns.
Voici un couple, mari cardiaque, épouse cancéreuse, qui a dû vendre sa maison à cause du tarif très élevé des franchises et qui s'installe dans un débarras chez sa fille. Un homme est mort du cancer après s'être vu refuser la prise en charge d'une greffe de moelle alors que son frère était un donneur compatible. Une jeune femme victime d'un accident a dû payer l'ambulance car, lui a-t-on expliqué, il fallait faire une demande préalable ! Une autre n'a pas eu droit à la prise en charge de sa chimiothérapie car, lorsqu'elle s'est assurée, elle avait omis de déclarer une mycose et l'assurance l'a découvert. Une autre encore a dû aller au Canada parce que l'assurance affirmait qu'à 22 ans elle était trop jeune pour avoir un cancer de l'utérus... Devant une commission d'enquête parlementaire, une femme médecin avoue qu'elle a, pendant des années, été très bien payée pour trouver la faille dans les dossiers.
Il y a, on l'espère, des contre-exemples, mais Moore ne les donne pas. A la place, il poursuit son enquête à l'étranger, dans des pays où l'espérance de vie est plus forte qu'aux Etats-Unis et la mortalité infantile inférieure. C'est alors un tableau quasi idyllique. Au Canada, on attend moins d'une heure aux urgences et on ne paie rien. En Grande-Bretagne, on paie un forfait insignifiant pour les médicaments et le généraliste payé par le NHS se dit ravi de ses revenus et de son existence. Et en France, croyez-le ou non, c'est quasiment le paradis. Il faut voir l'air éberlué que prend le réalisateur quand il apprend la durée du congé maternité et tous les congés payés dont nous bénéficions ou quand il découvre que le médecin se rend au domicile des malades (il fait un tour avec SOS-Médecins)... Il ne se pose pas, à Paris ni ailleurs, la question du financement, n'entend apparemment pas parler du trou de la Sécurité sociale. Il s'interroge tout de même sur la fiscalité, mais trouve un couple avec bel appartement et voiture idem pour montrer que dans notre beau pays l'on ne croule pas sous les impôts et que l'on vit très bien «avec un revenu moyen».
Le morceau de bravoure, celui qui a valu à Moore quelques ennuis avec la justice américaine, est un périple du côté de Cuba en compagnie de secouristes bénévoles du 11 septembre qui ont besoin de soins : il n'y a que sur la base américaine de Guantanamo, assure-t-il, que les soins sont gratuits. Même si les aventures qu'il nous raconte semblent moins inattendues qu'il ne le dit, cela donne quelques scènes irrésistibles. On peut reprocher au réalisateur de « Bowling for Columbine » de simplifier et de manipuler le spectateur, on ne peut nier ni la sincérité de son combat ni son talent. Il voudrait que les Américains qui sont victimes du système ne s'y résignent pas. Il voudrait les convaincre que, contrairement à ce que Reagan leur a fait croire, la médecine socialisée, ce n'est pas le communisme le couteau entre les dents. « Sicko » est sorti aux Etats-Unis en juin et a connu un joli succès public pour un documentaire. Mais, que l'on sache, aucun mouvement de résistance ne s'y est organisé. Michael Moore n'est toujours pas prophète en son pays.
* Le site officiel du film, www.sicko-themovie.com, continue à recueillir les témoignages, y compris de visu (« Share your healthcare horror stories through video »). On peut aussi y noter son assureur et y trouver les dernières nouvelles du système et de ses victimes.
Un débat à Sciences-Po
Mercredi prochain 12 septembre, le film « Sicko » sera projeté à Sciences-Po et suivi d'un débat qu'animera Gérard Kouchner, directeur du « Quotidien ».
Organisé rue Saint-Guillaume (Paris-VII) par la chaire santé de Sciences-Po, ce « ciné-club » spécial assurance-maladie réunira notamment Christian Lajoux, P-DG de sanofi-aventis France, Jean-Michel Laxalt, président de la Mgen, et Didier-Roland Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences-Po.
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