La santé en librairie
Qu'il faille s'en réjouir ou le déplorer, nos derniers moments appartiennent de plus en plus souvent aux médecins. Lesquels ont été formés à « sauver », parfois à guérir, souvent à soulager ; presque jamais à supporter leur désarroi devant la peur et la souffrance d'autrui. D'où les maladresses et les lâchetés dont on a tous pâti ou que l'on a tous commises un jour ou l'autre.
Jean-Marie Fonrouge, dont l'amour du métier d'anesthésiste-réanimateur, du parfum de l'urgence et de la petite musique des gardes de nuit où l'on parvient à museler le danger est perceptible au travers de ses nombreuses expériences vécues, semble pourtant ne s'être jamais laissé aveugler par la griserie des prouesses de la réanimation. Gagner, ce n'est pas rendre un corps vivant, un cur qui bat à côté d'un cerveau définitivement mort ; ce « cur-là, Peynet n'en aurait pas voulu », dit-il. La réalité, en médecine comme ailleurs et plus encore dans l'urgence de la réanimation, est rarement simple et les décisions sont prises sur le fil du rasoir. Il ne s'agit donc nullement, dans ce récit-essai, de leçons ou de recettes. Jean-Marie Fonrouge y transcrit simplement au plus près ses peurs, qui sont celles de tous, ses souvenirs émus ou ses questionnements. Son style dépouillé convient parfaitement à la discrétion et à la décence que le sujet de la mort ou de son imminence impose.
Réanimer, c'est ré-inviter la vie
Y a-t-il assez de place pour le courage en médecine, se demande l'auteur ? Courage de décider ce qui ne paraît pas aller de soi, d'éviter de choisir l'économie immédiate du face-à-face avec la mort ou l'affrontement avec le chagrin inéluctable des proches d'un malade condamné ?
« J'ai acquis cette certitude : savoir réanimer, c'est se battre jusqu'où on se battrait pour les siens, jusque-là seulement, mais chaque fois jusque-là au moins. Le regard sur la vie change le jour où l'on fait sienne cette évidence : savoir soulager », explique le Dr Fonrouge.
Sauver veut dire « imposer une deuxième mort » plus tard, analyse-t-il lucidement. Pourtant, loin de lui l'idée de dire qu'il ne faut pas se battre, y compris parfois de façon déraisonnable, pour réanimer, « ré-inviter la vie à venir parce que c'est trop tôt, parce que c'est trop injuste, parce qu'il y a dehors, assise et protégée du froid, la jeune femme de cet homme qui ne voudra pas croire que c'est déjà fini ».
« Jamais médecin dans l'histoire de l'humanité n'eut autant de pouvoir sur l'autre, autant d'écrasantes responsabilités que le réanimateur », souligne Xavier Emmanuelli dans une postface. Dès lors, comment assumer cette toute-puissance ? En se montrant arrogant, les exemples ne manquent pas, ou au contraire en faisant preuve de modestie, de respect de l'autre, de loyauté avec lui dans des moments où les capacités techniques et le savoir-faire peuvent faire le lit des abus de pouvoir.
A la fois témoignage de l'esprit de notre temps et message d'humilité, ce beau texte devrait être proposé aux étudiants en médecine qu'il bousculerait et soutiendrait tout à la fois.
« Et si l'homme devait mourir... Paroles d'un médecin réanimateur », Jean-Marie Fonrouge, Autrement/Littératures, 135 pages, 13 euros.
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