La vague numérique submerge tous les secteurs d’activités humaines en incluant la santé et beaucoup pensent que nous sommes les acteurs d’une troisième révolution industrielle. Les forces tectoniques qui s’affrontent sont gigantesques et multiples avec la mondialisation, la spéculation à très haute fréquence, la crise économique systémique, la raréfaction des matières premières et de l’énergie. S’adapter ou mourir dirait l’enfant de Darwin et de Schumpeter. L’impact numérique sur la santé procède de deux possibilités : la protection de la santé publique sur le long terme et/ou la commercialisation du vivant sur le court terme. Si les investissements numériques mondiaux en santé ont quintuplé en 2014 – et vont sans doute décupler – par rapport à 2013, c’est qu’il y a anguille sous roche. Les géants de la finance, du digital, des télécoms et plus récemment de l’industrie pharmaceutique l’ont compris, toujours prêts à vendre des pelles aux start-up chercheuses d’or. Les raisons de cet engouement tiennent à la fois, et de façon contradictoire, aux besoins sanitaires (15 000 structures de 400 lits sur dix ans), aux marchés (1 500 milliards de dollars sur le marché des hôpitaux numériques à dix ans), aux liquidités accumulées et aux possibilités numériques elles-mêmes. On estime à 600 milliards de dollars la valeur des données médicales sur la même période (McKinsey 2013). De quoi créer des vocations humanistes.
Fardeau insupportable
D’un autre côté, le vieillissement des populations, leurs pathologies chroniques et leurs complications, la dépendance seront – en l’état de l’absence de vision, de courage et de mobilisation depuis des décennies – un fardeau insurmontable. Dès lors, on comprend mieux le subreptice glissement de la solidarité vers l’individualisation du risque. Les plus fins limiers, parmi les financiers spéculateurs, assureurs et complémentaires ont flairé le filon qui profitent d’États peu regardants, courbés qu’ils sont sous le poids de leurs dettes vis-à-vis des banques. Sur les 1 300 milliards de dollars échangés par an, il y a bien quelques miettes pour la santé. Quant aux possibilités numériques, elles bénéficient grosso modo toujours de la loi de Moore depuis cinquante ans. Ajoutons à ceci la créativité débordante de milliers de développeurs et leurs outils numériques toujours plus puissants que la quête du Graal « vert » attirent tels des papillons devant une lumière connectée. Par ailleurs, le modèle de la gratuité d’accès – en contrepartie d’une utilisation pour le moins peu transparente des données personnelles à créer un nouveau gisement d’exploitation de valeur – est bien alléchant, mais doit être encadré.
Coût des failles : un millard d’euros par an
Si c’est gratuit, vous êtes le produit. Une sécurité des systèmes d’information et d’hébergement plus mature donc intelligemment renforcée est incontournable car devenue un invariant vis-à-vis des négligents, des incompétents et des malveillants (coût estimé à un milliard d’euros par an).
Pourtant le tableau pourrait n’être pas aussi sombre si l’on s’attachait à concentrer les moyens avant tout sur les besoins sanitaires génériques des populations (pathologies chroniques) avec des outils correctement choisis et utilisés. On peut estimer sans grandes chances de se tromper que le futur est au partage, à la mobilité et à la valorisation de données sécurisées. Pour les responsables politiques et administratifs, l’agrégation des données (Big Data) en temps réel permettrait de connaître l’état de la réalité de façon irréfutable, de contrôler l’activité et sa pertinence, donc de décider du cadre de l’action, voire de sanctionner – fraudes, incompétences et autres malversations par exemple. Les outils numériques – lorsqu’ils sont simples et déployés en fonction des priorités selon des usages adaptés – permettent la génération de qualité de la prise en charge des patients, d’économiser du temps inutile, de redonner du temps social et médical. On peut penser pouvoir optimiser l’efficacité de l’action sanitaire par la généralisation d’un accès à des bases d’informations communes et certifiées. C’est une voie légitime pour qui veut engager avec efficience la prévention, la détection précoce, l’accompagnement pathologique et thérapeutique. Dans ces mêmes domaines, le directeur général de la santé (DGS) ne rechignerait sans doute pas devant un outil d’épidémiologie 2.0 ou le déploiement de plans blancs numériques temps réel, comme l’aborde le CHU d’Amiens avec Surycat très récemment.
Smart data
Pour nos aînés, la transition vers le numérique doit faire l’objet d’une attention toute particulière. La formation (MOOC), la recherche sont aussi des domaines prioritaires que le numérique révolutionne à grande vitesse, notamment via les smart data. Autant de sources de progrès et de démocratie.
On peut même rêver d’une orientation politique d’investissements prioritaires courageux – car obligeant à faire des choix – vers des actions centrées sur les besoins génériques comme l’hôpital étendu intelligent, incluant les professionnels de ville, donc la santé ambulatoire, véritable opérateur de services numériques en mode Cloud, Saas et Services. Cet « Hôpital as a Service » est un concept qui émerge chez l’Oncle Sam qui vient de lancer le US Digital Service. Cette idée est même susceptible de se révéler intéressante pour des pays – la plupart – pour qui des structures sanitaires efficaces, adaptées, évolutives et peu onéreuses rendraient d’immenses services. Autant d’emplois et de sources de croissance éthique de part et d’autre.
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