L E problème n'est pas nouveau mais les chiffres sont impressionnants : 21 000 enfants sont victimes chaque année en France de mauvais traitements et 700 en meurent, soit près de 2 par jour ; 7 000 ont subi des violences physiques, 6 800 ont été victimes d'abus sexuels, 1 800 de violences psychologiques et 5 400 de négligences graves. Fait grave : dans 47 % des cas, la situation de ces enfants avait fait l'objet d'un signalement antérieur.
Le Dr Robert Saury, docteur en médecine et docteur en droit, connaît bien ces questions, pour avoir été expert auprès des tribunaux et pour siéger depuis un quart de siècle dans les instances ordinales, à différents niveaux (aujourd'hui au Conseil national). Et il sait combien le médecin peut être désarmé quand il soupçonne qu'un enfant est victime de sévices, d'autant que les études médicales négligent trop souvent la médecine légale, voire les arcanes de la déontologie. Il a pu aussi constater les dégâts que font des certificats « imprudents » rédigés par des médecins dans des situations, de divorce par exemple (sur l'état de l'enfant quand il revient d'un séjour chez l'un des deux parents ou sur l'état de santé mentale du père ou de la mère) : outre qu'ils s'exposent à des poursuites pour violation du secret médical et en conseil disciplinaire et à ce que le certificat soit récusé par le juge, les praticiens ne rendent pas service à l'enfant en témoignant en faveur de l'un de ses parents aux dépens de l'autre.
Le Dr Saury a donc voulu éclairer les praticiens à la fois sur les aspects légaux, en leur rappelant clairement ce qui est punissable selon la loi, et sur les aspects médicaux, en précisant les moyens de repérer les maltraitances, qu'il s'agisse d'actes de brutalité, de sévices sexuels ou, ce qu'il ne faut pas oublier, les atteintes à l'intégrité de la personne (privations de soins ou d'aliments, abandon matériel ou moral, mises en péril physiques ou morales). Et, ce qui est particulièrement utile, il leur indique la conduite à tenir, entre la prudence indispensable pour la protection de l'enfant et le respect du secret d'une part, et le devoir d'intervention, d'autre part (voir encadré). Un rapport que le Conseil national a adopté avec intérêt et qui peut être consulté à partir d'aujourd'hui sur le site Internet de l'Ordre*.
L'hospitalisation, une mesure de sauvegarde
La règle fondamentale est bien sûr l'intérêt de l'enfant, que le médecin doit « apprécier en conscience ». En cas de simple suspicion de sévices (enfant à risques), dit le rapport, le médecin peut et doit alerter les autorités administratives, à savoir le service départemental d'Action sanitaire et sociale (SDAS), dont dépend la PMI. En cas de présomption (enfant en danger), il informera les autorités judiciaires, c'est-à-dire le juge des enfants qui peut prendre des mesures de protection et, il faut le rappeler, n'a pas de rôle répressif. En cas de certitude, il faut aviser le procureur de la République, qui peut ordonner des poursuites. Dans tous les cas, l'hospitalisation de l'enfant « constitue une mesure de sauvegarde ».
Mais, avant de décider de ce qu'il faut faire (ou ne pas faire), le praticien doit étayer sa conviction « de constations significatives ». Le rapport explique comment faire l'inventaire des marques traumatiques (siège anatomique, topographie avec dimensions chiffrées, couleurs des lésions, traces de plaies, sans oublier de faire procéder à des radios pour repérer d'éventuelles fractures). Une trilogie symptomatique permet de faire un diagnostic positif de « syndrome des enfants battus » : multiplicité des marques traumatiques, les lésions étant d'âges différents (2) ; discordance avec les explications des parents ; évolution positive lors du séjour à l'hôpital et rechutes dès le retour dans le milieu familial.
Les sévices sexuels relèvent eux d'une « compétence spécialisée » : le diagnostic de rupture de l'hymen, notamment, requiert une expérience précise, et un examen médico-psychologique est indispensable.
Enfin, dans les atteintes à l'intégrité de la personne, seules les privations de soins ou d'aliments relèvent d'une appréciation essentiellement médicale, les autres situations étant surtout l'affaire de l'action sociale ou du juge.
Le Dr Saury cite volontiers saint Augustin : « La seule chose qui me fait douter de l'existence de Dieu, c'est la souffrance de l'enfant. » Mais il conclut son utile rapport en rappelant que l'obligation de dénonciation de sévices ou de privations s'applique non seulement aux moins de 15 ans, mais aussi à toute personne d'une particulière vulnérabilité. Et il exhorte les médecins de s'intéresser, de même, aux sévices à vieillards, « avec prudence et circonspection ».
(1) « Les sévices à enfant : conduite à tenir pour le médecin traitant », www.conseil-national.medecin.fr
(2) Les plus récentes, datant de 5 à 12 heures, sont rouges ; elles virent au violet ou au noir après environ 24 heures ; elles passent ensuite, dans les 3, 6 et 12 jours, au bleu, au vert puis au jaune ; elles disparaissent après environ 25 jours.
Le devoir d'intervention
Pour le Dr Saury, les maltraitances à enfants soulèvent « un redoutable dilemme médico-juridique ». Dans sa dernière version (juillet 1992), le code pénal donne au médecin le droit de signaler les sévices à enfants, mais aussi de s'en tenir au secret professionnel, encore qu'il puisse être poursuivi pour non-assistance à personne en danger. Le code de déontologie lui impose pour sa part d' « être le défenseur de l'enfant lorsqu'il estime que l'intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage » (art. 43). Lorsqu'une personne est victime de sévices ou de privations, il doit « mettre en uvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. S'il s'agit d'un mineur de quinze ans ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il doit, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives » (art. 44).
Le Dr Saury relève que la dérogation au secret professionnel prévue par le code pénal autorise le signalement des violences, mais en aucun cas la dénonciation de leur auteur ; le médecin n'est tenu de signaler que les faits, c'est-à-dire seulement les « constatations médicales qu'il est en mesure de faire ».
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