« Nous avons fait bien du chemin, mais ce n'est pas suffisant. » C'est en ces termes que le secrétaire général des Nations unies a commenté les conclusions des deux rapports que vient de publier l'ONUSIDA. « Il est évident que nous devrons renforcer nos efforts pour faire en sorte qu'à notre engagement dans la lutte contre le sida correspondent les ressources et les actions nécessaires ».
Deux ans après la session extraordinaire, qualifiée d'historique, de l'Assemblée générale des Nations unies sur le VIH/sida, au cours de laquelle les Etats membres se sont unanimement engagés à faire reculer l'épidémie, le secrétaire général de l'ONU a demandé un bilan de la riposte mondiale contre l'épidémie. Les deux rapports sont formels : le rythme actuel des activités nationales est insuffisant pour réaliser les objectifs fixés pour 2005. C'est « un sérieux avertissement pour le monde », a ajouté le Dr Peter Piot, directeur exécutif de l'ONUSIDA, en rappelant que ces objectifs doivent absolument être atteints, « si nous voulons avoir une petite chance d'inverser la tendance de cette épidémie dévastatrice ».
Le premier rapport, intitulé « Accélérer l'action contre le SIDA en Afrique », publié à l'occasion de l'ouverture de la Conférence Internationale sur les MST et le VIH/sida en Afrique (ICASA), qui se tient cette semaine à Nairobi, concerne uniquement l'Afrique. S'il fait le point sur un certain nombres d'initiatives couronnées de succès et démontre que de telles interventions sont possibles même dans des situations difficiles (voir encadré), il reprend les données et les conclusions du second rapport.
En effet, le « Rapport de situation sur la riposte mondiale à l'épidémie de VIH/SIDA », rendu public hier au cours de la session de l'Assemblée générale de l'ONU consacrée au VIH/sida, est fondé sur l'analyse d'enquêtes effectuées auprès de 103 pays, sur la base de 18 indicateurs mondiaux et nationaux susceptibles de mesurer le degré de mise en uvre des buts et objectifs de la Déclaration d'engagement adoptée par les 189 Etats-membres.
Les pays répondeurs qui ont adressé leurs données à l'ONUSIDA représentent 90 % des personnes vivant avec le VIH/sida dans le monde ; la plupart des non-répondeurs (n = 89) se trouvent en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et 14 pays parmi les plus avancés, dont la France, ont envoyé leur rapport national. Avec 29 pays, l'Afrique subsaharienne est la région la mieux représentée.
Meilleure disponibilité des ressources
« Pratiquement tous les pays de l'enquête ont relevé des améliorations dans la disponibilité des ressources financières destinées à lutter contre le VIH/sida », estime le rapport. Dans les pays à faible et moyen revenu, les montants approcheront les 4,7 milliards de dollars en 2003, une augmentation de 20 % par rapport à 2002 et de 500 % par rapport à 1996. Les fonds viennent des donateurs internationaux et des pays touchés eux-mêmes. « Malgré ces améliorations, les dépenses actuelles n'atteignent même pas la moitié des 10 milliards de dollars qui seront requis pour combattre efficacement le sida en 2005 », tempère le rapport.
Il en est de même pour le financement de la recherche, qui ne représente qu'une petite fraction de la totalité des investissements de recherche du secteur public. En 2001, les sommes consacrées au développement d'un vaccin VIH se sont élevées à 430-470 millions de dollars, le National Institute of Health américain investissant 57 à 63 % des dépenses dans le monde. Quant à la recherche et le développement des microbicides, 62 millions de dollars ont été investis par le gouvernement américain et cette somme devrait atteindre 214 millions en 2003.
L'ONUSIDA observe avec satisfaction que « 93 % des pays ont élaboré des stratégies nationales globales sur le VIH/sida et mis en place des organismes nationaux chargés de coordonner la riposte ». Toutefois, dans de nombreux pays, les actions concrètes contre le VIH restent « concentrées dans les ministères de la Santé et n'intègrent pas tout l'éventail des départements, éducation, agriculture et droits de la personne qui sont nécessaires à une riposte globale ».
Si 88 % ont amélioré la sensibilisation du public grâce à des campagnes dans les médias, à l'éducation en milieu scolaire et à des programmes d'éducation par les pairs, des progrès restent à faire dans la prévention. Une fraction seulement de la population exposée au risque y a réellement accès. En particulier, les services de prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant restent pratiquement inexistants dans de nombreux pays fortement touchés. Parmi les 17 pays d'Afrique subsaharienne qui ont fourni leurs données, 12 dont les taux de prévalence chez les nouveau-nés atteignent 25 % ne disposent pas d'un programme de prophylaxie par les antirétroviraux. Ainsi, moins de 1 % des femmes enceintes bénéficient de l'information et du traitement nécessaires.
300 000 personnes traitées
La couverture thérapeutique par les antirétroviraux dans les pays à faible et moyen revenu reste également extrêmement faible : 300 000 personnes traitées en 2002 sur les 5 à 6 millions d'individus qui en auraient besoin. En Afrique, seulement 1 % des 4,1 millions de ceux qui en ont besoin ont reçu un traitement en 2002. Et dans la région Asie-Pacifique qui abrite 7 millions de personnes vivant avec le virus, plus d'un tiers des pays n'ont pas encore adopté de politique d'accès aux traitements.
Enfin, le rapport met l'accent sur l'insuffisance des politiques visant à soutenir les enfants rendus orphelins - ils sont 15 millions et ce chiffre devrait s'élever à 25 millions en 2010 - ou vulnérables à cause du sida. De même, la lutte contre la discrimination et la stigmatisation, notamment grâce à une législation adaptée, ne s'est pas encore généralisée. La vulnérabilité des femmes et des jeunes filles est particulièrement préoccupante.
Tous ces points doivent être améliorés si l'on veut atteindre l'objectif fixé de 3 millions de personnes traités d'ici à 2005. En matière de financement, l'ONUSIDA recommande que les ressources soient doublées d'ici à 2005 et triplées d'ici à 2007, dans les pays à faible et moyen revenu.
Trois enjeux majeurs en Afrique
Trois enjeux majeurs doivent faire l'objet d'une attention particulière en Afrique :
- Nécessité d'élargir l'accès au traitement antirétroviral. « Prévention et traitement doivent être considérés comme les deux faces d'une même pièce. Il est impossible de les dissocier. »
- Impact accru de l'épidémie sur les femmes africaines. Elles représentent 58 % des personnes infectées en Afrique. La riposte africaine doit tenir compte de ce facteur.
- Crise humanitaire en Afrique australe. Elle a mis nettement en relief la nécessité d'intégrer la riposte au VIH/sida dans le développement au sens large et dans les initiatives humanitaires. L'Afrique australe a les taux de VIH les plus élevés au monde, et aucun des dix pays de la région ne donne de signes clairs d'un déclin de l'épidémie.
Des initiatives réussies en Afrique
Le sida a eu un impact direct sur 60 millions d'Africains : 30 millions vivent avec le virus, plus de 15 millions sont morts du sida et plus de 11 millions d'enfants ont perdu au moins l'un de leurs parents à cause de l'épidémie.
En dépit de ces chiffres, « la situation est loin d'être désespérée », affirme le rapport « Accélérer l'action contre le sida en Afrique », qui souligne les initiatives couronnées de succès en Afrique.
Parmi celles-ci :
- L'initiative sénégalaise d'accès aux antirétroviraux lancée en août 1998. Le programme utilise à la fois des médicaments de marque et des génériques. Grâce à des cotisations souples, les patients à faible revenu ont l'accès gratuit aux soins. Le gouvernement a observé une observance des protocoles thérapeutiques de 80 %.
- Au Botswana, le programme de traitement antirétroviral est connu sous le nom de « Masa », mot setswana qui signifie « aube nouvelle ». Elaboré grâce à un partenariat entre le Ministère de la santé et l'African Comprehensive HIV/AIDS Partnership (Fondation Bill et Melinda Gates, Fondation Merck Company et la firme McKinsey&Company), il a permis de traiter par ARV 6 791 patients.
- En Afrique de l'Ouest, la compagnie privée de production d'électricité de Côte d'Ivoire, la CIE, a mis en place des programmes contre le sida : distribution de préservatifs, éducation sur le sida. La compagnie fournit des structures sanitaires et des soins médicaux confidentiels à ses 13 000 travailleurs et à leur famille. Le traitement antirétroviral en cas de séropositivité est financé par un fonds de la société.
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