L'EPIDEMIE DE VIH/sida, qui ne cesse de s'étendre dans le monde, semble s'être stabilisée dans les pays industrialisés. Les traitements disponibles depuis 1996 ont ralenti l'évolution de la maladie et ont réduit la mortalité des personnes infectées, qu'elles soient malades ou pas. En dépit d'un allongement de la survie, la surmortalité par rapport au reste de la population du même âge demeure. Les antirétroviraux disponibles ne permettent pas d'éliminer le virus, leurs effets secondaires restent importants et, pour être efficaces, ils exigent une très forte adhésion du malade. Le visage de l'épidémie a donc changé. Mais qui sont les séropositifs aujourd'hui, comment vivent-ils ? Pour la première fois, une étude, conduite par France Lert (Inserm) et Yolande Obadia (Observatoire régional de la santé, ORS de Provence-Alpes-Côte d'Azur), tente de répondre. Coordonnée et financée par l'Anrs (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales), elle se propose de mieux comprendre la population séropositive. L'objectif est « d'améliorer la prise en charge et les conditions de vie en général des patients pour que l'efficacité sociale soit enfin à la hauteur de l'efficacité médicale obtenue aujourd'hui », explique France Lert au « Quotidien ».
Une enquête auprès de 2 932 personnes.
L'enquête a été menée en France métropolitaine en 2003 auprès d'un échantillon de 2 932 personnes de plus de 18 ans suivies à l'hôpital pour une infection à VIH diagnostiquée depuis plus de 6 mois. Les résultats, publiés dans le dernier numéro de « Population & sociétés », sont « les tout premiers de l'enquête et portent sur les caractéristiques démographiques et sociales principales des personnes infectées », assure France Lert.
Qui sont les personnes atteintes ? Même si leur proportion augmente au fil des années, les femmes restent minoritaires : « Sept personnes atteintes sur dix sont des hommes ». Cependant, cette répartition par sexe est très différente entre Français natifs et immigrés : les femmes représentent 23 % des personnes atteintes nées en France (22 % pour celles venant d'autres pays européens) mais deviennent majoritaires pour l'Afrique subsaharienne (60 %) et le Maghreb (51 %). L'Ile-de-France est surreprésentée, avec 19 % de la population de métropole, elle rassemble 43 % des personnes séropositives. La région Paca arrive en deuxième position (14,6 % des personnes infectées pour une part nationale de 8,3 %).
Les étrangers (en France depuis plus de six mois) sont également surreprésentés : alors qu'ils constituent 6 % de la population générale, ils représentent 18 % des personnes séropositives. Cela est vrai surtout chez les femmes : près d'une femme atteinte sur 3 (31 %) est étrangère, pour seulement un homme sur sept (13 %).
Les immigrés devenus français sont sous-représentés : ils constituent 4,6 % de la population générale et 3,2 % des personnes positives. Les régions d'origine les plus fréquentes sont : l'Afrique subsaharienne (un immigré sur deux atteint, alors qu'ils ne représentent que 9 % de l'ensemble de la population immigrée). En revanche, le Maghreb est sous-représenté : un immigré sur dix vivant avec le VIH, alors qu'ils représentent 30 % de l'ensemble. La part des immigrés s'accroît fortement avec le temps, et la date du diagnostic tend à être de plus en plus rapprochée de l'arrivée en France : depuis 2000, il est de moins de un mois après l'arrivée chez 35 % des hommes et 59 % des femmes.
Les hommes homosexuels constituent dans chaque génération de patients masculins le groupe le plus nombreux, ce qui reflète la persistance de la transmission dans ce groupe. La part des usagers de drogues tend, elle, à diminuer.
La population des séropositifs est ancienne : plus de la moitié des diagnostics remonte à 1993 ou avant et un sur trois est postérieur à 1996. Cependant les plus anciennes générations, diagnostiquées dans les années 1980, ont connu une forte mortalité.
Inactivité et invalidité.
Les conséquences de l'infection sont importantes. « Seul un individu touché sur deux est actif », notent les auteurs. Malgré l'efficacité des traitements, 40 % des hommes de moins de 60 ans et 55 % des femmes sont inactifs. De plus, la proportion de personnes en invalidité reste élevée et augmente avec l'ancienneté du diagnostic : un peu plus d'un quart des patients est en invalidité, 8 % de personnes diagnostiquées depuis 2000 et 46 % de celles diagnostiquées avant 1987.
Les homosexuels sont ceux qui présentent le niveau d'étude le plus élevé (43 % ont fait des études postérieures au baccalauréat) et gardent le plus souvent leur emploi (69 % travaillaient au moment de l'enquête, la moitié étant cadres ou occupant des professions intermédiaires). Seul un sur cinq est en invalidité.
Les usagers de drogues se caractérisent par un niveau d'étude bas, un faible taux d'activité (38 %) et un taux d'invalidité élevé (53 %).
Les immigrés se distinguent par un fort taux de personnes non scolarisées ou qui n'ont fréquenté que l'école primaire (15 % des hommes et 20 % des femmes), mais, à la différence des autres groupes, leur taux d'activité augmente après le diagnostic (de 43 à 49 %). En effet, beaucoup n'avaient ni emploi ni ressource au moment du dépistage. Si leur taux d'invalidité est faible (16 %), ils vivent souvent dans des conditions précaires.
Enfin, la solitude touche près d'un homme atteint sur deux (45 %) et une femme sur quatre (27 %). Les immigrés sont les plus nombreux à avoir des enfants avec lesquels ils ne vivent pas.
En dépit des différences observées dans chacun des groupes sociaux, les personnes infectées vivent la même expérience éprouvante et « connaissent toutes, à des degrés divers, une altération de leurs conditions de vie, notamment une baisse importante de l'activité professionnelle et un taux élevé d'invalidité », conclut l'étude.
D'autres analyses sont en cours . « De nouveaux résultats plus détaillés, plus approfondis et plus explicatifs en termes de condition de vie vont être publiés dans quelques mois », assure France Lert.
* Acronyme de Vih Enquête Sur les Personnes Atteintes.
** Publication de l'Ined (Institut national d'études démographiques), n° 406, novembre 2004.
Diagnostic tardif et isolement aux Antilles
Au cours des12e Journées inter-Cish Antilles-Guyane, à Fort-de-France, France Lert a présenté les résultats de l'étude Anrs-Vespa pour la région. « C'est la première fois qu'il est possible de comparer la situation de l'épidémie dans les départements français d'outre-mer avec ce que l'on observe en métropole », fait-elle remarquer. L'enquête s'est déroulée dans les mêmes conditions qu'en métropole et a inclus 404 personnes en Guadeloupe, Saint-Martin, Martinique et Guyane. Les caractéristiques de l'épidémie diffèrent par rapport à la métropole. Les malades sont diagnostiqués plus tard. Davantage de jeunes (moins de 30 ans) et de seniors (plus de 50 ans) sont touchés, alors qu'en métropole l'épidémie se concentre chez les 30-50 ans. La proportion des femmes est globalement plus élevée. « Nous avons plutôt affaire à une épidémie de la population générale », a souligné France Lert. Celle-ci est à dominante hétérosexuelle, même s'il existe une composante homosexuelle, principalement en Martinique et en Guadeloupe : un homme séropositif sur cinq se déclare homo ou bisexuel. La proportion de personnes d'origine étrangère est plus élevée, avec souvent des personnes installées de longue date mais qui gardent un statut de résidence précaire. Le dépistage de l'infection est plus tardif : davantage de personnes sont diagnostiquées au stade sida, mais la prise en charge médicale s'effectue de manière similaire. L'isolement est aussi plus grand : un tiers des personnes atteintes n'ont pas annoncé leur séropositivité à leur conjoint. Même si la religion occupe une place importante, les prêtres et pasteurs sont rarement informés.
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