Jointes au séquençage du génome humain, les séquences désormais connues du génome de Plasmodium falciparum et d' Anopheles gambiae, aideront à éclaircir les relations entre l'hôte, le parasite et le vecteur. Cette triade d'informations cruciales ouvre des perspectives sans précédent pour enrayer le paludisme, qui touche plus de 500 millions de personnes et cause près de 3 millions de décès chaque année, principalement en Afrique.
« L'Afrique a cruellement besoin de nouvelles techniques de contrôle du paludisme et le génome de l'anophèle a un rôle important à jouer pour combattre cette maladie », commente dans un communiqué le Dr Robert Holt de Celera Genomics (Rockville, Maryland), qui a participé, avec l'Institut Pasteur et le Genoscope, à cet extraordinaire effort de séquençage du génome du moustique.
L'initiative a été lancée il y a moins de deux ans, au cours du « Sommet du génome d' Anopheles gambiae », organisé à Paris par l'Institut Pasteur et le programme TDR (Tropical Diseases Research) de l'OMS. A. gambiae est le principal vecteur du Plasmodium falciparum en Afrique, et c'est l'un des vecteurs les plus efficaces du paludisme dans le monde.
Pour séquencer le génome d' A. gambiae, les chercheurs ont utilisé la méthode « shotgun » qui consiste à séquencer au hasard des segments d'ADN du génome, puis à relier les segments en appariant les morceaux qui se chevauchent. Ils ont pris la souche PEST d' A. gambiae, qui est conservée à l'Institut Pasteur, et ils ont assemblé la séquence du génome en plus de 300 échafaudages qui couvrent une longueur de 278 mégabases ou millions de paires de bases.
L'analyse de la séquence du génome donne de solides indications sur la présence d'environ 14 000 gènes codant pour des protéines. Les chercheurs ont établi un premier et grossier catalogue fonctionnel des protéines codées par les gènes.
Le repas sanguin active plusieurs gènes
De plus, Holt et coll. ont examiné quels gènes sont spécifiquement activés ou désactivés lors d'un repas sanguin de la femelle moustique. Ils ont comparé des fragments d'ADN de gènes codeurs (appelés expressed sequence tags, ou EST) chez 40 000 moustiques rassasiés de sang et le même nombre de moustiques non nourris de sang. Le repas sanguin, ont-ils découvert, active plusieurs gènes associés au signal cellulaire et nucléaire, au processus digestif, à la synthèse et au transport des lipides, à la production des ufs. Le repas désactive aussi une variété de gènes dont certains interviennent dans la contraction musculaire, la vision et le métabolisme.
« Ces voies sont celles qui risquent d'être utiles pour trouver des points d'intervention afin de développer de nouveaux insecticides ou des vaccins bloquant la transmission », explique dans un communiqué le Dr Holt. « Les choses les plus importantes, que favorisera le génome dans un proche avenir, seront la compréhension de la base moléculaire de la résistance aux insecticides et la découverte de nouvelles cibles pour les insecticides », pense-t-il.
La résistance aux insecticides peut émerger lorsque l'expression de gènes détoxifiants augmente ou lorsque surviennent des mutations dans les gènes des protéines ciblées par les insecticides. Le génome offre un catalogue de ces deux types de gènes, ainsi que des variations de nucléotides uniques trouvés dans le génome. Cette information devrait aider les chercheurs à développer des insecticides qui tuent les moustiques à travers de nouvelles cibles ou ne déclenchent pas de réponse de détoxification. Elle devrait aussi aider à surveiller la dissémination de la résistance aux pesticides existants.
Par ailleurs, il pourrait être possible de développer des vaccins bloquant la transmission, en ciblant des interactions spécifiques entre le parasite et le moustique, au cours du cycle complexe du parasite à l'intérieur de l'insecte.
Réduire l'anthropophilie
Une autre stratégie pourrait être de réduire l'anthropophilie du moustique, en l'empêchant de préférer ou de trouver le sang humain nécessaire pour pondre des ufs viables. Les chercheurs pensent que les moustiques sont probablement capables de reconnaître des odeurs spécifiquement humaines. Or, l'équipe de Holt et une autre équipe de chercheurs (Hill et coll., dans le même « Science ») décrivent des récepteurs olfactifs possibles chez A. gambiae. Un répulsif qui inhibe de tels récepteurs pourrait réduire la transmission du paludisme, simplement en empêchant les moustiques de trouver facilement leurs proies humaines.
De plus, ajoutent, dans un autre article, Morel et coll. (programme TDR, OMS, Genève), « la séquence complète du génome accélérera l'ingénierie des moustiques réfractaires au Plasmodium et le développement de méthodes pour introduire ce génotype dans les populations sauvages ».
« Science », 4 octobre 2002, pp. 129, 79 et 13.
... et de Plasmodium falciparum
Le génome de Plasmodium falciparum est séquencé. Techniquement, la tâche semble avoir été difficile. Mais, avec le génome de l'anophèle et le génome humain, on dispose maintenant, en théorie du moins, des données permettant de comprendre l'interaction du parasite avec son hôte, tout au long de son cycle.
Près de 5 300 gènes probables recensés, 14 chromosomes, 23 millions de paires de bases : le génome de P. falciparum ne paraît pas, a posteriori, représenter une difficulté insurmontable pour des équipes rodées au séquençage de génomes entiers et habituées à collaborer.
L'aboutissement du travail est pourtant remarquable à deux titres. En premier lieu, si l'on excepte le génome humain et les petits génomes de pathogènes procaryotes, tels que le mycoplasme, c'est la première fois que la stratégie de séquençage vise directement et explicitement des applications médicales. Le bien-fondé de cette stratégie a d'ailleurs été très discuté (voir encadré). En second lieu, alors que le génome de P. falciparum représente, en nombre de gènes, de l'ordre du tiers de celui de la drosophile, et que son séquençage pourrait presque être considéré comme une opération de routine, le travail s'est en fait révélé difficile. La séquence de P. falciparum s'est en effet révélé exceptionnellement riche en bases A ou T, qui représentent 85 % du génome. Par ailleurs, les séquences répétées A ou T, longues d'une cinquantaine de résidus, sont apparues extrêmement fréquentes. En pratique, cette homogénéité a considérablement compliqué le réassemblage des fragments, séquencés indépendamment les uns des autres.
5 279 gènes « probables »
Ces difficultés surmontées, il reste maintenant à exploiter la séquence. Première étape : l'identification des gènes, 5 279 gènes « probables » ont été reconnus dans la séquence. Malheureusement, on ignore encore la fonction de 60 % d'entre eux.
Autant qu'on puisse en juger à partir des 40 % de gènes identifiés, il semble que la proportion de gènes impliqués dans le métabolisme propre du parasite (enzymes, transporteurs...) soit modeste par rapport à ce que l'on connaît chez d'autres eucaryotes. Cette relative pauvreté métabolique est d'ailleurs tout à fait cohérente avec le mode de vie parasitaire. En revanche, et toujours aussi logiquement, on trouve un grand nombre de gènes apparemment impliqués dans l'interaction hôte-parasite, et dans la variabilité antigénique qui permet au parasite d'échapper à l'immunité de l'hôte.
Concernant ces gènes, deux points doivent d'ailleurs être soulignés. Premièrement, les gènes « d'échappement » paraissent regroupés sur les parties distales des chromosomes. Cette distribution se comprend : les réarrangements et échanges chromosomiques nécessaires à la variabilité antigénique se produisent plus aisément à l'extrémité des chromosomes. Deuxièmement, le consortium responsable du séquençage de P. falciparum, a également séquencé le génome de P. yoelii yoelii, parasite responsable d'un paludisme du rat, en Afrique. L'objectif était de comparer les deux génomes, pour tenter de dégager des éléments concernant la spécificité de l'interaction hôte-parasite. Malheureusement, aucun des gènes connus chez P. falciparum pour être impliqués dans l'échappement, n'a pu être retrouvé chez P. yoelii yoelii. Outre qu'il s'agit d'une déception, le fait est extrêmement surprenant, puisqu'on imagine mal que deux espèces de Plasmodium aient pu développer des mécanismes d'échappement distincts vis-à-vis d'hôtes aussi proches que l'homme et le rat. Pour comprendre l'interaction hôte-parasite, cette apparente divergence entre espèces proches devra sans doute être expliquée.
Multiplier les cibles thérapeutiques
Au chapitre thérapeutique, on note que les gènes codant les cibles thérapeutiques des principaux antiparasitaires ont pu être identifiés dans le génome. Mais « l'environnement » métabolique beaucoup plus complet dont on dispose à présent multiplie les cibles thérapeutiques potentielles. On sait par exemple que la quinine agit dans la vacuole alimentaire du parasite, compartiment subcellulaire à l'intérieur duquel l'hémoglobine est dégradée. Plusieurs enzymes intervenant dans cette dégradation ont été mises en évidence ; leurs séquences en acides aminés sont maintenant connues, et chacune peut a priori constituer une cible pour un inhibiteur.
De même, en ce qui concerne la piste vaccinale, une trentaine d'antigènes ont été testés jusqu'à présent, sans grand succès. Mais le séquençage peut permettre d'identifier « des centaines de nouveaux antigènes potentiels », selon les auteurs. La difficulté sera bien entendu de trouver des antigènes conservés.
Pour le moment, donc, la situation peut se résumer ne trois mots : du travail, du travail et encore du travail. Les auteurs ne se privent d'ailleurs pas de constater l'évidence : « A court terme, la séquence génomique en elle-même ne soulage guère les malades. » Avec le génome de P. falciparum, la stratégie de séquençage est maintenant au pied du mur : on va voir ce qu'elle permet de faire en médecine. Toutefois, elle se présente, dès à présent, comme une stratégie du long terme, sauf percée inattendue, que l'on est toujours en droit d'espérer.
Le séquençage du génome de P. falciparum a été mené à bien par un consortium comprenant principalement le centre Sanger, en Grande-Bretagne, l'Institut de recherche génomique (TIGR), dans le Maryland, et l'université Standford, en Californie.
M. J. Gardner et coll. « Nature », vol. 419, 2002, pp. 498-511
15 millions de dollars
Fallait-il séquencer le génome de P. falciparum ? Ne valait-il pas mieux investir le budget, de l'ordre de 15 millions de dollars, dans des actions plus traditionnelles, au bénéfice plus immédiat et tangible pour les populations concernées ? La question a, semble-t-il, été très débattue. Mais les jeux étaient faits d'avance : qui pouvait imaginer que l'on renoncerait au séquençage, et parachuter 15 millions de dollars sur l'Afrique et l'Asie ?
Au demeurant, il n'est pas prouvé que ce renoncement eût été justifié. Mais il est sûr et certain que la statégie adoptée est maintenant tenue de faire ses preuves.
Dans un éditorial de « Nature », Russell F. Doolittle (université de Californie) entend visiblement poursuivre le débat. « Le séquençage valait-il d'être entrepris, d'un point de vue médical ? - cela reste à voir », affirme-t-il. Et de souligner que dans les objectifs « biomédicaux » affichés par les programmes de séquençages de ces dernières années, « le versant biologique a été, jusqu'à présent, le grand gagnant ». Il reste à espérer qu'il n'y aura pas lieu de parler, d'ici à quelques années, de l'éclatement de la « bulle biologique ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature