Le temps de la médeine
Vieux (voire petit vieux) ? Même quand la vieillesse n'est pas un naufrage, le mot n'est guère agréable. Ancien ? A peine mieux qu'ancêtre, en ces temps de néomanie. Personne âgée, troisième âge (et menace du quatrième) ? Quand la cosmétologie et la pharmacie ne cessent de chercher des produits « anti-âge », cela fait abandon du combat. Quant à retraité, si beaucoup aspirent à arrêter de travailler, bien peu ont envie de se voir réduits à ce qualificatif. Alors va pour senior, qui a au moins l'avantage de n'avoir pas d'âge.
La définition originelle, issue du latin ( « plus âgé »), est sportive : « Sportif qui a cessé d'être junior et appartient à la catégorie normale (jusqu'à l'âge où il devient vétéran) », précisait le « Robert », qui a récemment ajouté un deuxième sens, « Personne âgée de plus de 50 ans ; jeune retraité ».
Les hommes du marketing, qui ont depuis longtemps compris l'intérêt de ce marché en expansion constante, ont effectivement posé l'étiquette dès 50 ans, ce qui est encore la pleine force de l'âge.
Difficile, dès lors, de savoir combien ils sont, les seniors, sinon que, allongement de la longévité aidant, leur nombre ne cesse d'augmenter. « Nous sommes tous des Jeanne Calment en puissance, affirme le Pr Françoise Forette. Nos enfants et nos petits-enfants le sont encore davantage. » (1). La perspective n'est pas vraiment réjouissante : qui a envie d'être senior pendant soixante-dix ans ? On n'en est pas encore là : aujourd'hui, à 60 ans, un homme a une espérance de vie de 20,2 années et une femme de 25,3.
Moins vieux, mais pas jeunes
Selon le dernier recensement (1999), 12,5 millions de personnes ont 60 ans ou plus, soit 20 % de la population française (25 % en 2015). Et si l'on reprend la barre des 50 ans (19 millions de Français), les prévisions sont de 40 % de la population en 2015. La faute à la génération du baby-boom (les bébés nés de 1946 à 1964).
« Les personnes âgées de 50 ans ne sont pas vieilles, dit encore Françoise Forette. Pourtant, aujourd'hui, elles sont socialement considérées comme vieilles. »« Les vieux sont moins vieux, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'ils sont jeunes », relève pour sa part Robert Rochefort, directeur général du CREDOC, auteur de « Vive le papy-boom » (Odile Jacob).
L'enquête réalisée l'an dernier en Europe à l'initiative de Pfizer décrit en tout cas des seniors (55 ans et plus) français en forme et actifs (2) : 79,1 % des hommes et 74,6 % des femmes déclarent se sentir en bonne santé, les chiffres les plus élevés d'Europe ; 69 % disent faire régulièrement de l'exercice ;et si la France se distingue par le taux le plus élevé de départs à la retraite forcés (28 %), elle est en deuxième position pour la proportion de retraités exerçant un travail rémunéré ou bénévole (30 %). En 2002, selon les chiffres de l'INSEE, 17,3 % des hommes de 60-64 ans et 15,1 % des femmes travaillaient et 53 % des 60-69 ans étaient adhérents d'une association.
La pratique associative, qui augmente avec le niveau de diplôme, est à la fois conséquence et cause d'une vie sociale active. Elle témoigne aussi d'un intérêt plus fort pour la chose publique : c'est parmi les seniors que l'on trouve le moins d'abstentionnistes aux élections.
Jusqu'à cinq générations
Le vieillissement devient de moins en moins synonyme de solitude. Grâce au recul du veuvage, à la formation de nouveaux couples qui n'ont plus peur de l'union libre, aux familles, recomposées ou non, de trois, quatre, voire cinq générations. On compte plus de 12 millions de grands-parents, dont 2 millions qui sont aussi arrière-grands-parents.
Avec un revenu moyen supérieur de 19 % à celui des moins de 50 ans, les seniors peuvent aider leurs enfants et petits-enfants, mais aussi voyager et consommer. Les chiffres cités lors des Premiers entretiens seniorscopie (3) sont éloquents : les seniors représentent 25 % des trajets en avion, 45 % du marché de l'automobile neuve, 70 % des achats de camping-cars ; un quinquagénaire sur quatre a une résidence secondaire.
Les seniors, c'est encore 50 % du marché des produits de beauté, et le succès de la DHEA, de la chirurgie esthétique et de certains nouveaux médicaments. « La cinquantaine ne constitue plus un âge couperet dans la séduction », affirme la sémiologue Mariette Darrigand (directrice du cabinet Des faits et des signes). Pour preuve, Catherine Deneuve, bientôt 60 ans, ou Sean Connery, 72 ans, entre bien d'autres.
Médiateurs et modérateurs
Fort de leur poids démographique, les seniors peuvent-ils pour autant constituer un groupe de pression, un lobby comme aux Etats-Unis l'American Association of Retired Persons (AARP), qui compte 35 millions d'adhérents (12 dollars par an). On en est encore loin, selon Erik Neveu, professeur de sciences politiques à l'IEP de Rennes : les différences sociales sont fortes et les 20 000 clubs de personnes âgées sont des lieux de sociabilité et non forcément des groupes de mobilisation.
Robert Rochefort, qui a conclu les Entretiens seniorscopie, plaide quant à lui pour des seniors « modérateurs, médiateurs et accompagnateurs ». « Je me plais parfois à penser le rôle des retraités à l'égard des plus jeunes comme celui d'accompagnateurs sereins d'un changement de cap de société», dit-il. Une nouvelle révolution pour les enfants de 68 ?
(1) Les Entretiens de l'assurance, 1997.
(2) « Le Quotidien » du 10 septembre 2002.
(3) Organisés par la Cité des congrès de Nantes et le mensuel « Notre Temps », à Nantes, en décembre 2002 (seniorscopie.com).
A quel âge est-on vieux ?
Une étude menée en 2000 par l'institut Harris pour ILC (International Longevity Center) étudie la perception du vieillissement dans cinq pays : Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, République dominicaine et Japon.
L'âge auquel on se voit vieux est variable (fonction sans doute de l'espérance de vie), allant de 61 ans pour les Dominicains à 71 ans pour les Français. Pour toutes les personnes interrogées, sauf les Dominicains, être vieux signifie voir diminuer ses capacités physiques. Les Américains y ajoutent le déclin des fonctions intellectuelles, les Anglais la mise à la retraite.
Pour jeunes et vieux, la vieillesse s'accompagne de difficultés diverses : manque de revenus, état de santé précaire, solitude, tristesse, risque d'agressions. Selon ILC, ces craintes surestiment les risques (sauf en République dominicaine), particulièrement aux Etats-Unis, à un degré moindre en France.
Vieillir (bien) commence à 55 ans
Pour le gouvernement, ce n'est pas l'âge de la retraite qui compte, contrairement à ce qu'on pourrait penser, mais celui de la prévention. Le programme « Bien vieillir », lancé par Jean-Pierre Raffarin en mars dernier (« le Quotidien » du 13), s'adresse aux 55 ans et plus. Ordonnance, dans un premier temps : activités physiques et sportives et alimentation équilibrée. Des centres d'évaluation de la condition physique et de l'état nutritionnel des plus de 55 ans devraient être mis en place. L'an prochain, le programme « Bien vieillir » doit s'intéresser aux activités culturelles, sociales et touristiques.
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