Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne fait pas dans la dentelle. Les dispositions qu'il a prises pour renforcer la sécurité devraient inquiéter les voyous.
Commandement unique pour la police et la gendarmerie - même si les deux corps ne sont pas intégrés - créations de compagnies régionales d'intervention, capables de riposter très vite aux actes du grand banditisme, renforcement des effectifs de sécurité et visites policières dans les lieux de non-droit, notamment les caves des grands ensembles où se poursuit le trafic de drogue, et surtout mise à la disposition des forces de l'ordre de « flash-balls », balles en caoutchouc qui assomment plutôt qu'elles ne tuent, voilà bien un programme musclé. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, affirme que les brigands n'auront plus de sanctuaires, et que la police, désormais, pénètrera en force là où, depuis longtemps, elle n'est pas allée.
Une réponse au vu populaire
Ces mesures répondent à des exigences : il devenait intolérable que les policiers eussent plus peur que les bandits, que la délinquance mineure ne fût pas sanctionnée, et que des zones entières du pays fussent livrés à une sorte de terrorisme de temps de paix, avec agressions, incendies de voitures, vols organisés de voitures, de luxe ou non.
M. Sarkozy veut montrer sa détermination aux électeurs des deux prochains tours de scrutin et leur signifie qu'il a compris la leçon de l'élection présidentielle. Le vote de protestation du 21 avril a été nourri par le spectre complet de l'électorat. Des ouvriers, des artisans, de petits commerçants ont exprimé leur droit à vivre en sécurité dans les cités. C'est pour tous ceux-là, et pour qu'ils votent en faveur de la droite que le ministre a lancé ses dispositions.
Toutefois, la sévérité de la riposte peut être considérée comme excessive. Pour une part, on ne voudrait pas que, pour arracher des voix au FN, le gouvernement applique en partie son programme ; pour une autre, il faudra s'assurer que la froide nomenclature des mesures se traduise par des résultats ; et pour une autre enfin, il n'est pas souhaitable que la répression produise de tels effets que, à son tour, elle engendre un sérieux malaise social. Par exemple, on sait déjà que les « flash-balls » peuvent être mortelles si elles sont tirées de trop près ou dans la tête. Il risque donc d'y avoir des cas où la riposte sera infiniment plus grave que le délit.
En outre, dans un pays où un voleur de voiture qui s'enfuit à 150 kmh dans les rues d'une ville, et finit par périr dans son équipée, devient le héros, pour ne pas dire le martyr d'une communauté, le recours à la force, en toute circonstance, risque de provoquer des émeutes. Les familles de délinquants tués au cours de leur équipée réagissent avec une virulence, certes compréhensible, mais qui indique leur refus d'admettre le délit ou le crime.
Une revanche sur le crime
Cependant, en dehors de ces réserves, il ne fait aucun doute que les citoyens honnêtes et immensément majoritaires vont, cette fois, savourer leur revanche sur la criminalité. Le mal, indiscutablement, est profond, et le gouvernement n'avait pas d'autre choix qu'un remède de cheval. On verra à l'expérience s'il a eu raison.
Conformément aux traditions nationales, les mesures étaient à peine annoncées que les critiques fusaient de toutes parts : de la gauche, d'abord, qui, bien entendu, se bat sur le terrain électoral ; des minorités qui ne veulent pas expier collectivement pour les fautes de quelques-uns ; des associations des droits de l'homme qui vitupèrent la brutalité du gouvernement ; des forces de l'ordre elles-mêmes qui contestent tel ou tel aspect du plan de sécurité, les professionnels critiquant forcément les décisions des politiques. Si elle l'a oublié, la droite réapprend que la France, décidément, est difficile à gouverner.
Bien que Jacques Chirac ne bénéficie d'aucun état de grâce (la gauche lui a fait un cadeau au second tour de la présidentielle, il n'est pas ????? qu'elle lui en fasse un autre), il ne peut pas se tromper sur l'interprétation du message que le peuple vient de lui adresser. Il n'est pas vrai que, comme l'affirme la gauche, le problème de la sécurité ait été exagéré par la droite pour des raisons démagogiques. C'est bel et bien une priorité sociale. Un vote doit être respecté et les gouvernants ne peuvent pas appliquer un programme différent de celui que souhaite le peuple souverain. Le mieux, en l'occurrence, est d'attendre et voir, donc, pour le moment, de laisser faire le gouvernement en place.
M. Raffarin, sous son air doux et discret, a démarré à toute vitesse, et d'ailleurs pas toujours dans une cohérence parfaite, comme on a pu le voir avec l'épisode concernant les relations du gouvernement avec le monde de la santé. Dieu sait que Jean-François Mattei savait ce qui l'attendait ! Que ses propos aient pu être interprétés de diverses manières, qu'on ne sache pas exactement quels sont ses pouvoirs par rapport à ceux de François Fillon, ministre des Affaires sociales, il y a eu, la semaine dernière, un beau charivari avec les médecins. Franchement, on ne peut pas accorder à ce gouvernement l'excuse de l'impréparation, sauf à la mettre sur le compte de la multiplicité et de la rapidité des démarches. En effet, sans attendre les législatives, le gouvernement a tiré tous azimuts, promettant la revalorisation des honoraires médicaux, confirmant la baisse d'impôts, renouant à marche forcée le dialogue social. Un train d'enfer, aussitôt salué par un seul cri, poussé par des millions de poitrines ; « Et moi, et moi ? ». Tant il est vrai que si on tend la main aux gens, ils prennent le bras.
Le partage du marché électoral
En somme tout cela procèderait très naturellement de la mise en place du nouveau gouvernement si la conjoncture politique n'était exceptionnelle : il est logique que l'équipe Raffarin fasse comme si elle devait durer, mais il demeure une incertitude sur la victoire de la droite aux législatives. A voir comment s'organise le partage du marché électoral, avec, à droite les candidats de l'UDF et à gauche, ou plutôt ailleurs, ceux du Pôle républicain, on se demande si les dissidences ne vont pas, une fois encore, faire le jeu de l'extrême droite, ou tout au moins affaiblir la droite classique et nous donner un gouvernement de cohabitation.
Il est logique, nous dirons même utile, que MM. Chirac et Raffarin se battent sur ce front-là. Ils ne se contentent pas de défendre leur camp, ils veulent s'assurer qu'un nouveau désastre ne se produira pas et que la France entre dans une période de stabilité politique.
Après tout, c'est un vu légitime. Ce qui ne veut pas dire qu'une victoire de la droite ouvrirait une ère de paix et de bonheur. Les manifestations d'entre les deux tours de la présidentielle, tout en exaltant le consensus démocratique, ont aussi prouvé la vitalité de ce qu'il est convenu d'appeler « le peuple de gauche ». Un peuple toujours prêt pour un troisième tour social.
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