« A côté des progrès spectaculaires en prévention faits grâce aux ingénieurs des transports et de l'équipement, les progrès récents réalisés dans le domaine spécifique de la santé ont été modestes ces vingt dernières années. » Et si, au lieu des 20 000 morts par an que laissaient prévoir les données de 1972, les chiffres de la mortalité et de la morbidité se sont améliorés de manière exponentielle jusqu'à 7 242 morts et 137 839 blessés par an en 2002, « la mortalité reste encore élevée en France par rapport à celle relevée dans plusieurs pays voisins ». C'est par ce constat que les membres du groupe de travail « La médecine face aux accidents de la route »*, réunis depuis le 29 octobre 2002 au sein de l'Académie de médecine, commencent leur rapport.
Leurs recommandations s'appuient notamment sur le rapport du préfet Guyot remis en mai 2002 au ministère de l'Equipement et des Transports. Très documenté dans les domaines techniques, le travail du groupe Guyot relève une « grave insuffisance d'intégration des études de sécurité routière aux recherches et aux actions de santé publique ». Et note que « c'est autant au ministère de la Santé et au corps médical de s'en préoccuper ». De même, il souligne qu'en France,'appareil statistique, limité et archaïque, n'est pas à la hauteur des enjeux. Cette carence importante dans la récolte des données avait déjà été signalée en 1988 par l'Académie qui avait proposé, rappelle-t-elle, de « recenser les accidents de la route de façon analogue à celle utilisée pour les accidents du travail. Transmise au ministère de la Santé, cette proposition est restée lettre morte ».
La levée du « frein » épidémiologique, grâce à une meilleure connaissance des problèmes, aiderait à de nouveaux progrès dans la prévention primaire, secondaire et tertiaire des accidents. Les membres de l'Académie se sont d'ailleurs heurtés à un manque de données françaises et ont dû recourir à des statistiques européennes ou américaines.
L'une des premières recommandations du groupe dirigé par le Pr Maurice Cara est donc « la création d'un organisme de sécurité routière, analogue à l'Institut belge de sécurité routière ». L'IBSR, organisme créé en collaboration avec les assurances, comporte une section médicale qui s'occupe du recueil épidémiologique en plus de ses missions d'expertise médicale et toxicologique. En France, un tel organisme, avantageusement implanté au voisinage d'un hôpital de référence (de type CHU) et doté d'un équipement important, permettrait en outre la réalisation d'examens cliniques et complémentaires de bonne qualité.
Un bureau à la DGS
La deuxième recommandation générale du rapport concerne le « rétablissement du bureau chargé de la sécurité routière au sein de la direction générale de la Santé », supprimé depuis une vingtaine d'années. Cette mesure aurait pour conséquence une meilleure gestion de la politique de la sécurité routière conduite par le ministère et serait un signal fort donné par le ministre Jean-François Mattei.
L'Académie est favorable à l'examen médical préalable au permis de conduire et à son renouvellement, mais demande qu'il soit confié au praticien choisi par le candidat. Car le fait de confier ce rôle, comme le fait la réglementation actuelle, au seul médecin traitant peut être une source de difficultés déontologiques.
L'examen d'aptitude doit comporter, par ailleurs, une épreuve d'appréciation de la capacité visuelle (acuité et champ visuel), une épreuve comportementale (pour éliminer les troubles nerveux ou toxiques). L'Académie propose une épreuve simplifiée, dérivée du test américain (voir encadré). Pratiqué lors de l'examen d'aptitude, il pourra l'être aussi, en cas de troubles du comportement, en complément des éthylotests. En cas d'anomalie, un examen médical approfondi sera demandé.
Pour les cas particuliers, l'Académie approuve les dispositions envisagées qui prévoient un examen médical tous les deux ans après 75 ans et tous les ans après 80 ans. Chez l'adolescent, et pour les conducteurs en période probatoire, elle recommande des limites d'alcoolémie tolérées plus basses, de même qu'une plus grande sévérité en cas d'infraction (3 points en moins au permis pour une alcoolémie entre 0,3 et 0,5 g/l).
Les enfants sont également concernés : dès l'école maternelle, des gestes élémentaires de secourisme doivent leur être enseignés, tout comme on doit apprendre à traverser une route.
Trois couleurs
Restent les personnes astreintes à la prise régulière de médicaments : elles devront porter sur elle un document précisant les modalités de leur traitement. L'Académie propose que les pictogrammes (triangle rouge) imposés par la législation européenne sur les médicaments susceptibles de diminuer la vigilance soient remplacés par des pictogrammes de couleurs différenciées (jaune, orange, puis rouge). Seul le rouge serait incompatible avec la conduite, les autres l'autorisant avec prudence et en fonction de la dose.
Enfin, pour ce qui est de la prévention secondaire et tertiaire, le groupe du Pr Cara se prononce pour une meilleure organisation des secours et du transport des blessés. En particulier, insiste le rapport, la règle qui oblige à orienter les blessés vers l'hôpital le plus proche est archaïque et obsolète. Le simple découpage en secteur géographique ne suffit plus.
* Groupe composé des Prs Louis Foulquier, Pierre Banzet, Roger Boulu, Maurice Cara, Maurice Goulon, Louis Hollender, Roger Nordmann et Philippe Vichard.
L'épreuve comportementale
L'épreuve simplifiée que propose l'Académie est dérivée du Standardized Fields, Sobriety Test américain. Une épreuve de ce genre est proposée en Suède depuis près de trente ans. Cinq points doivent être vérifiés. Le sujet :
1. ne doit pas tituber ;
2. son élocution doit être intelligible ;
3. doit pouvoir se tenir debout, yeux fermés et pieds joints (le test américain dit sur un pied), pendant une minute sans vaciller ;
4. doit pouvoir marcher en posant un pied après l'autre sur une ligne droite longue de 5 mètres sans dévier ni vaciller ;
5. doit pouvoir, les yeux fermés, porter un doigt sur le nez, alternativement avec la main droite, puis la gauche, et six fois de suite sans tâtonner.
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