Le mythe du pilote « superhomme », capable d'affronter tous les dangers est peut-être en train de voler en éclats. Face aux catastrophes et aux évolutions du transport aérien, les pilotes sont fragilisés. Les accidents d'aviation sont en effet moins fréquents que ceux de la route, mais ils frappent l'imaginaire. L'accident du Concorde et l'onde de choc du 11 septembre sont là pour le rappeler . « Les pilotes de ligne constituent la clé de voûte d'un édifice complexe et fragile. Tous les objectifs contradictoires de la compagnie convergent entre leurs mains. Il leur faut prendre des décisions importantes, faire des choix difficiles. Ils sont le dernier rempart avant la défaillance et face à l'adversité. » : ces mots en hommage à l'équipage du Concorde sont d'Alexandre Aubin, commandant de bord sur Airbus A 320 et instructeur « facteurs humains ». Ils ouvrent son mémoire sur « l'incidence du stress chez les pilotes de ligne ».
Rédigé dans le cadre d'un diplôme d'université « Aspects biologiques et psychosociaux du stress » (université René-Descartes), il s'inscrit dans le sillage d'un travail réalisé au sein du laboratoire d'anthropologie appliquée et d'un certain nombre d'études, menées entre 1990-1994 et 1995-1999, essentiellement sur la fatigue.
Par rapport à ces études antérieures, celle-ci s'élargit au concept de stress lié à l'environnement professionnel mais aussi personnel du pilote.
L'étude est élaborée à partir de deux questionnaires destinés aux navigants et concerne, d'une part, les vols au cours des sept derniers jours d'activité, et d'autre part, les incidents en vol. Le premier est spécifique aux situations génératrices de fatigue et de stress : cycles activité-repos (nombre et types de vols, amplitude de service, nombre de fuseaux horaires traversés), facteurs physiologiques et cognitifs, facteurs professionnels et personnels (contraintes liées à l'assistance et la programmation, pression temporelle, charge de travail, aspects relationnels), événements familiaux récents, état de santé, hygiène de vie, situation financière. Le deuxième tente de mieux comprendre ces facteurs en cas d'incident. « L'incident préfigure l'accident. Avec une bonne compréhension des facteurs influençant leur survenue, peut-être pourrons-nous alors prévenir la défaillance grave. »
Ces deux questionnaires ont été mis sur Internet en juillet 2001 (1). Les réponses de 80 pilotes français sont parvenues en septembre 2001 et ont permis une première analyse. Laquelle ne concerne que le premier questionnaire et a fait l'objet d'une communication à l'ENAC (Ecole nationale de l'aviation civile).
Une visite médicale par an avant 40 ans
Alexandre Aubin dresse d'abord un tableau des exigences de la profession de navigants. « Les pilotes doivent être normalement en mesure de fournir l'optimum de leurs facultés cognitives du début de leur mission, lors du premier décollage jusqu'à la fin du dernier atterrissage avec des amplitudes de temps de travail pouvant dépasser les seize heures. On exige donc d'eux des qualités physiques et mentales élevées (une visite médicale par an avant 40 ans, une tous les six mois au-delà) ainsi que des compétences professionnelles de haut niveau (trois contrôles techniques par an, deux au simulateur et un en vol). » En cas de contrôle insatisfaisant, la licence est suspendue. Cette épée de Damoclès est un facteur supplémentaire de stress. De fait, 20 % des pilotes perdent leur aptitude médicale avant l'âge de la retraite, fixé à 60 ans.
Aux difficiles contraintes de la profession : gestion de l'avion, de l'équipage et des passagers, prise en compte de la météo, des règlements et des moyens disponibles, s'ajoutent une énorme responsabilité : le commandant de bord a entre les mains des centaines de vies humaines et des matériels très onéreux. Or il est le seul à pouvoir percevoir la limite au-delà de laquelle l'accident devient probable. « Le commandant de bord est la caution physique et morale de chacun des passagers qu'il a à son bord. » Son objectif premier reste donc la sécurité et la sûreté du vol. Mais, affirme Alexandre Aubin, « les pilotes de ligne, en guerre économique permanente, subissent des pressions de plus en plus fortes. Quel pilote n'a pas fait l'expérience, une fois dans sa vie, d'avoir le choix entre le chômage ou voler dans des mauvaises conditions de sécurité ? »
Un outil à l'usage des seuls pilotes
Le pilote doit être conscient de ces facteurs qui peuvent entraver sa sérénité, l'empêchant de prendre les bonnes décisions au moment importun. « Les pilotes sont passionnés par leur métier. Il n'est pas dans leur mentalité de renoncer à un vol », note encore Alexandre Aubin. C'est pourquoi, il espère que ce travail aboutira à, l'image de ce qui est admis pour la machine, à une « Check-List Pilot ». Cet outil serait à l'usage des seuls pilotes qui, ainsi, pourraient mieux évaluer leur niveau de fatigue et de stress.
L'analyse des réponses permettra d'en définir les différentes rubriques ainsi que leur contenu, en fonction du degré de perturbation accordé aux différentes contraintes (de 0 = aucun impact à 3 = impact élevé).
Les pilotes sont amenés à répondre à des sujets très personnels comme la consommation de drogue, la prise de médicaments, l'existence d'idées de suicide ou de difficultés sexuelles.
Les facteurs cités comme ayant le plus d'impact sur le stress sont :
- sur le plan professionnel :
le harcèlement moral, l'annonce d'un plan social, les incidents sérieux et les accidents au sein de la compagnie ;
- la crise familiale (dispute avec l'époux ou le partenaire), la mort d'un membre de la famille ou d'un ami proche, les problèmes avec les enfants.
Les manifestations de stress les plus fréquentes sont liées au sommeil et au manque de récupération (décalage horaire), mais la rumination mentale, la perte du désir sexuel, l'anxiété et la peur de l'avenir sont plus gravement ressentis.
Alexandre Aubin espère poursuivre ce travail et mobiliser l'ensemble des pilotes, français mais aussi étrangers (le questionnaire a été traduit en anglais). l'enjeu est important car « la sécurité du vol, commence par la propre sécurité du pilote ».
Accidents d'avion : l'erreur humaine dans 70 % des cas
LE QUOTIDIEN
Dans quel contexte avez-vous fait cette étude ?
Alexandre AUBIN
Je suis pilote depuis vingt-cinq ans. Retourner à l'université était pour moi un défi, une façon de me prouver que j'étais capable de suivre une autre formation. Nous étions dans un contexte de fusion Air France/Air Inter mal vécue par les pilotes d'Air Inter. Ma démarche est donc aussi un travail d'intégration dans ma nouvelle compagnie.
Quel est l'importance des facteurs humain, en matière de sécurité aérienne ?
Soixante-dix pour cent des accidents proviennent d'erreurs humaines. En 1978, la NASA a organisé un colloque sur ce thème avec des médecins, des scientifiques, des industriels du milieu aéronautique. Du point de vue américain, le transport aérien est stratégique. Il fallait s'interroger sur ces accidents survenant à des pilotes confirmés, alors que ni l'avion ni la météo n'étaient en cause. Depuis, des colloques « facteurs humains » sont régulièrement organisés.
Quel est votre rôle en tant qu'instructeur « facteurs humains » ?
Cette science évolue rapidement. Mais aujourd'hui encore, les recommandations ne s'intéressent qu'à l'aspect technique et professionnel du problème (problème de formation et de comportement au sein de l'équipe). Les facteurs personnels se réduisent à l'hygiène de vie et la fatigue. Mon projet de check-list est donc plus ambitieux car il s'étend à la gestion du stress.
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