Difficile d'y voir clair, cette année, dans la présentation des comptes de la Sécurité sociale faite par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou. Alors qu'elle se félicite de la « poursuite de l'amélioration considérable de la situation de la Sécurité sociale », nombreuses sont les voix qui dénoncent « les manipulations comptables » et les prévisions un peu trop optimistes établies par le gouvernement.
Devant la commission des comptes de la Sécurité sociale, Elisabeth Guigou a mis en avant des résultats du régime général excédentaires pour la troisième année consécutive en 2001, à hauteur de 9,8 milliards de francs (1 496 millions d'euros), et des comptes prévisionnels pour 2002 toujours en excédent de 7,5 milliards de francs (1 136 millions d'euros). Mais cette présentation faite en comptabilité de caisse est fort différente de celle dite des « droits constatés » qui sera définitivement adoptée à partir de 2002 (voir encadré). Si l'on s'en tient à la deuxième comptabilité, la décision du gouvernement d'imputer aux comptes 2001 les 13 milliards de francs de déficit enregistré en 2000 par le FOREC (Fonds de financement des exonérations de charges sociales, notamment dans le cadre de la réduction du temps de travail) fait plonger les comptes dans le rouge. Le régime général enregistrerait en fait un déficit de 6,7 milliards de francs (- 1 023 millions d'euros). Pour 2002, les comptes seraient en revanche à nouveau en excédent de 6,1 milliards de francs (935 millions d'euros).
La ministre de l'Emploi et de la Solidarité n'est évidemment pas entrée dans ces subtilités, préférant souligner qu'entre 1999 et 2001 la Sécurité sociale a dégagé un excédent cumulé de 15 milliards de francs alors qu'entre 1993 et 1997 elle avait enregistré un déficit cumulé record de 265 milliards de francs. « On voit le chemin parcouru dans le bons sens », a-t-elle commenté devant la presse, en se félicitant de ce que ces excédents permettent le financement de nouvelles améliorations de la prise en charge des soins. Ainsi, en 2002, le PLFSS prévoit une amélioration du remboursement des soins dentaires en supprimant le plafond de 2 600 francs fixé pour les bénéficiaires de la CMU et en instaurant des bilans gratuits pour tous les enfants de six et douze ans.
Hypothèses hasardeuses
La satisfaction de la ministre est toutefois tempérée par le secrétaire général de la commission des comptes de la Sécurité sociale, François Monier, qui, en préambule de son rapport, ne manque pas d'observer, comme l'avait déjà fait la Cour des comptes il y a quelques jours, que « ces excédents restent néanmoins très modestes en regard des montants des dépenses et des recettes de la Sécurité sociale, surtout si l'on tient compte du caractère assez exceptionnel, et très favorable aux recettes de la Sécurité sociale, de la conjoncture des deux dernières années ». Et d'insister sur le fait que le régime général « aborde la période plus difficile qui s'ouvre à présent sans avoir suffisamment rétabli sa situation financière ».
Car si les prévisions pour 2002 laissent apparaître un nouvel excédent un peu inférieur à 1 milliard d'euros (6,1 milliards de francs), les hypothèses économiques sur lesquelles elles s'appuient sont de l'avis générale pour le moins hasardeuses.
D'abord parce qu'elles reposent sur une hypothèse optimiste de croissance de la masse sa salariale de 5 %, c'est-à-dire légèrement inférieure à celle de cette année. Ensuite et surtout parce que l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) retenu pour 2002, à savoir une progression limitée à + 3,8 % par rapport aux dépenses 2001 (soit 738,7 milliards de francs ou 112,62 milliards d'euros), est particulièrement irréaliste dans la mesure où il inclut le financement de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux estimé à 3 milliards de francs l'année prochaine. « Sa réalisation supposerait un freinage considérable par rapport à la tendance moyenne des deux dernières années supérieure à 5 % », fait observer le rapport.
Blocage sur la régulation
De fait, la croissance des dépenses d'assurance-maladie s'est élevée à 5,6 % en 2000 et la commission des comptes table sur une augmentation de 5 % en 2001. Les objectifs 2000 et 2001 sont respectivement dépassés de 17,3 et de 15,8 milliards de francs. Un rythme d'évolution qui s'explique essentiellement par la forte progression des dépenses soins de ville, entre 6 % et 7 %, dont la moitié est due aux seules dépenses de médicaments.
Pour contenir ces dépenses, le gouvernement table sur les effets de sa politique du médicament dont les principales mesures ont été annoncées au mois de juin dernier. La baisse du taux de remboursement des vasodilatateurs et la première vague de baisse des prix sur les médicaments à service médical rendu insuffisant devrait infléchir en partie cette tendance. « Mais nous devons poursuivre nos efforts », a reconnu Elisabeth Guigou, notamment dans le domaine des médicaments génériques dont le développement reste, selon elle, très insuffisant. Par exemple, la possibilité de prescrire en Dénomination commune internationale (DCI) sera inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) et une grande campagne d'information sera lancée au début de l'année prochaine. Elle compte également sur la conclusion, avec les prescripteurs, d'accords régionaux de bon usage des médicaments portant sur les antibiotiques et les interactions médicamenteuses. Elle a enfin demandé à l'IGAS un rapport sur le bilan des pratiques promotionnelles des laboratoires pharmaceutiques. « Ces mesures correspondent aux préconisations que vient d'adresser la Cour des comptes », a tenu à souligner la ministre de l'Emploi et de la Solidarité en réponse au dernier rapport sur la Sécurité sociale qui fustigeait la politique conduite par le gouvernement dans ce domaine depuis trois ans.
En revanche, pour les autres dépenses de soins de ville, à savoir les honoraires des professionnels de santé, Elisabeth Guigou a repoussé l'annonce de la mise en place d'un nouveau dispositif de régulation.
Celui qui est actuellement en vigueur permet de jouer sur le tarif des honoraires des professionnels ; il est fortement décrié par les intéressés et la CNAM a même refusé de l'appliquer cette année. La question est délicate et la ministre de l'Emploi et de la Solidarité a reconnu à plusieurs reprises qu'il n'y avait pas de consensus sur une alternative possible. Elle s'est donc contentée d'annoncer qu'elle allait rendre public dans quelques jours un document d'orientation qui servira de base à une nouvelle concertation avec les professionnels les caisses d'assurance-maladie et les partenaires sociaux.
Quitte à donner l'impression de ne pas vouloir agir. Car il faudrait que les partenaires parviennent à un accord d'ici au 23 octobre, date de la première lecture du PLFSS à l'Assemblée nationale, pour qu'il puisse être intégré dans la loi.
Psitions inconciliables?
Or si certaines mesures de réforme de l'organisation des soins de ville évoquées par la ministre, comme la création d'un haut conseil de la santé et d'un observatoire de la démographie médicale, la pluriannualité des objectifs de dépenses ou les mesures d'aide à l'installation, ne posent pas de problèmes, il n'en est pas de même pour ce qui est de la clarification des responsabilités entre l'Etat, l'assurance-maladie et les professionnels de santé et pour ce qui est des modalités de la maîtrise des dépenses.
Une majorité des représentants de la profession font de la suppression de la maîtrise comptable un préalable à toute discussion. Or, on reconnaissait hier dans l'entourage d'Elisabeth Guigou que l'Etat ne pouvait se priver de tout moyen d'agir sur les dépenses. Des positions qui semblent donc a priori inconciliables.
Deux méthodes de comptabilité
La compréhension des comptes de la Sécurité sociale n'a pas été facilitée cette année par deux changements majeurs dans leur présentation. En effet, à partir de 2002, les comptes sont présentés bien entendu en euros mais également en « droits constatés ». Ce mode de comptabilité est sensiblement différent de celui appliqué jusque-là, qui était en « encaissements-décaissements ».
En « encaissements-décaissements », les comptes font état de ce qui est effectivement rentré et sorti des caisses de Sécurité sociale au 31 décembre alors qu'en « droits constatés », on tient compte de toutes les recettes et dépenses afférentes à l'année même si elles ont été payées ou reçues l'année suivante. C'est ce qui explique qu'en « encaissements-décaissements » le gouvernement puisse afficher un excédent en 2001 alors qu'en réalité la réaffectation sur les dépenses 2001 des treize milliards de déficit du FOREC de 2000 fait plonger les comptes dans le rouge en « droits constatés ».
Ce changement concerne également l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) fixé pour 2002 à + 3,8 %. La Commission des comptes souligne que cette augmentation est calculée par rapport à un objectif 2001 recalculé en droits constatés et en fonction des prévisions actuelles de dépenses de l'année 2001. Or, le montant de l'ONDAM en droits constatés est supérieur au montant calculé en encaissements-décaissements puisqu'une partie des dépenses de l'année ne sont remboursées que dans les premières semaines de l'année suivante. L'écart constaté correspond environ, selon le rapport, à 350 millions d'euros.
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