On le savait depuis le printemps et la procédure adoptée par Jean-François Mattei pour aborder la crise de l'assurance-maladie le confirme : échaudé par les très vives protestations populaires qu'ont déclenchées la réforme des retraites, celle du statut des intermittents du spectacle, et affaibli par les mortelles conséquences de la canicule, le gouvernement refuse, en cette rentrée pour lui très incertaine, d'ouvrir un front social sur le dossier extrêmement sensible de la protection sociale.
Il sera facile, pour tous ceux qu'épouvante le déficit de l'assurance-maladie, de donner des conseils au Premier ministre et au ministre de la Santé : le principe du « n'y a qu'à » ignore, par sa nature même, les conséquences politiques des réformes. On est donc amené, dans un premier temps, à reconnaître que le gouvernement ne peut pas s'exposer, après un été aussi brûlant et dans un contexte de mécontentement croissant, à une grogne si vive qu'elle bloquerait en définitive la réforme du système de soins. Il ne suffit pas de concevoir les réformes, il faut les mener à bien. La prudence de M. Raffarin est donc soutenue par une analyse que personne ne peut négliger.
Un vice structurel
Cependant, la dimension de la crise ne s'accommode guère de considérations tactiques. Il suffit, pour évaluer l'ampleur de la tâche, de se souvenir que, dans ce déficit public de 4 % qui nous vaut les foudres de la Commission européenne, la part de l'assurance-maladie est considérable. Or les dépenses de santé ne sont pas des dépenses d'investissement ou d'équipement. Quand leur niveau dépasse celui des recettes de quelque dix milliards d'euros par an, il devient clair que le système, dont nous sommes tous convenus cet été, après l'hécatombe des personnes âgées, qu'il n'est pas en somme le « meilleur du monde », contient un vice structurel qui ne fera que produire des ravages année après année.
Aussi, quand le gouvernement se donne encore deux ans pour changer le système, alors qu'il a 20 milliards d'euros à éponger pour 2002 et 2003, quand il consulte patiemment les syndicats de salariés, quand il crée une structure de plus chargée de faire un rapport de plus sur les déficiences du système, quand il temporise alors qu'il y a le feu dans la maison, on est amené à craindre les effets néfastes de sa prudence. Toute la France paie, d'une façon ou d'une autre, le déficit de l'assurance-maladie ; et toute la France paiera les déficits qui vont s'ajouter aux anciens pendant ces 24 longs mois au cours desquels on aura dûment réfléchi au contenu d'une réforme, laquelle sera peut-être magnifique en 2005, mais risque d'arriver beaucoup trop tard.
Tout le monde paie, tout le monde paiera :
- les Français, déjà endettés jusqu'au cou et qui laisseront à leurs descendants une ardoise encore plus chargée ;
- les professionnels de santé qui savent pertinemment que, lorsqu'on ne porte pas le fer dans la plaie, on fait des économies sur leur revenu, c'est-à-dire sur leur travail. L'absence de réforme, c'est inévitablement une pression accrue sur les honoraires, sur l'industrie pharmaceutique, sur les hôpitaux, déjà accablés par les 35 heures et le manque d'effectifs ; c'est fatalement une régulation des soins qui ne veut pas dire son vrai nom, c'est-à-dire rationnement.
On dira ce qu'on voudra de la canicule, ses causes et ses conséquences, on mettra en cause la grande migration du mois d'août, on mentionnera avec amertume l'effet pervers des 35 heures, on mettra en cause la médecine de ville. Mais le fond de l'affaire, c'est que le gouvernement actuel, comme les précédents, affolé par le coût de la santé, n'avait pas fait une priorité du bien-être des personnes âgées, des maisons de retraite, des équipements destinés au troisième âge. Le coût de la santé est faramineux, il devient intolérable, il réclame des mesures draconiennes, mais pour une seule raison : il est payé par la collectivité. On ne dit jamais, par exemple, qu'une voiture de luxe est hors de prix, parce que personne n'est obligé de l'acheter. Elle ne sera d'ailleurs mise sur le marché que si des clients existent pour cette extravagance. En revanche, on dit que la santé devient une folie économique parce qu'elle pèse sur les comptes de l'Etat.
Il n'y a pas 260 réformes possibles, en dépit de tout ce que nous diront les grandes âmes compatissantes dont la générosité est infiniment plus vaste que le portefeuille des autres. La réforme peut prendre des formes variées, mais elle ne sera efficace que si elle est fondée sur un principe unique : la responsabilisation de la collectivité française.
Quand la CNAM répète qu'elle ne peut pas continuer à payer à guichets ouverts, elle a parfaitement raison. Elle en fait le reproche aux médecins qui, eux aussi, selon elle, « tirent des chèques illimités sur la trésorerie de la Sécu ». Là est l'erreur. Les médecins libéraux n'ont pas d'autre choix que de participer au système, lequel leur est imposé. Ils ne verraient aucun inconvénient à s'adresser à un autre payeur, qu'il s'agisse du patient lui-même, d'une assurance privée ou complémentaire ou de tout autre source de financement.
Or il y a un moyen de respecter au centime près le montant des dépenses annuelles de l'assurance-maladie : c'est de le fixer au préalable, raisonnablement, en fonction des besoins des malades, de ne rembourser que ce qui a été fixé et de demander soit au patient, soit aux assurances complémentaires de payer la différence. C'est ce qu'on appelle, en médecine de ville, le secteur unique. Il ne s'agit nullement d'une révolution ; le ticket modérateur existe déjà, des médicaments sont déremboursés ou moins remboursés et, pour toutes les pathologies, on demande son écot au patient ou on l'engage à cotiser à une mutuelle.
De sorte qu'il n'y a pas, à proprement parler, de « trou » de la Sécurité sociale ; il y a un trou artificiel, créé délibérément par l'universalité du système, merveilleuse idée humanitaire appliquée, hélas ! à une population de patients dont un certain nombre commettent des excès. Il y a un trou parce que la Sécu veut tout payer ou presque. Il n'y aurait aucun trou si la Sécu disait ce qu'elle peut payer, à charge pour les malades ou leurs mutuelles ou leurs assurances complémentaires de prendre le relais pour financer la différence entre ce que coûte la maladie et le prix que la Sécu accorde à cette maladie.
Si ce principe simple était appliqué, la France n'en crèverait pas. Il serait entendu que les maladies graves seraient prises en charge à cent pour cent par la collectivité, que le budget de la CMU serait maintenu et augmenté chaque année. On n'assisterait pas à l'avènement de la médecine à deux vitesses, épouvantail constamment agité par les syndicats de salariés, puisqu'elle existe déjà pour tous ceux qui paient de leur poche le ticket modérateur ou n'ont pas les moyens de cotiser à une mutuelle. On s'apercevrait alors que la santé, loin de nous appauvrir, constitue une industrie prospère qui participe à la richesse nationale. Les professionnels de santé libéraux en milieu très compétitif essaieraient de rapprocher leurs honoraires au plus près du maximum remboursé ; ils tiendraient compte de l'état du marché, des moyens de leur clientèle, et là où ils le pourraient, ils feraient payer plus cher les malades les plus aisés. Il ne s'agira plus d'augmenter les prélèvements sociaux, mais de faire payer aux Français les services qu'ils réclament.
Un enrichissement
La prolifération des mutuelles ou des assurances-maladies permettrait de créer un maillage serré de la protection. Bref, la France s'enrichirait à produire de la santé, comme elle produit des yaourts, des automobiles ou des appartements.
Le trou de la Sécu n'est en réalité que le produit d'une mauvaise répartition des dépenses de consommation. Les gens se ruinent à acheter une maison ou un appartement, mais ils ne conçoivent pas de payer plus cher pour leur santé, qui est pourtant leur bien le plus précieux. Nous n'avons pas assez de médecins, de soignants, d'infirmières, d'hôpitaux. Depuis trente ans, nous avons pesé sur l'offre de soins, au lieu de peser sur une demande hypertrophiée par le « paiement à guichets ouverts ». Qu'y aurait-il d'extraordinaire si les patients détournaient une faible fraction de leurs dépenses de consommation vers la santé ? Si au lieu d'une voiture haut de gamme, il en achetaient une plus modeste et consacraient la différence à leur santé ? Imaginez un peu le nombre d'emplois que l'on pourrait créer dans la santé si enfin elle était libérée de la tutelle de la Sécu ?
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