Ça ne bouillonne pas encore, mais la température commence à monter sérieusement. Dans les ministères, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, au sein de l'état-major de l'UMP comme parmi les acteurs du secteur sanitaire, les cerveaux et les stratèges s'activent. Personne n'attend, pour avancer ses pions, que Jean-François Mattei engage officiellement à l'automne la réforme de la Sécurité sociale.
Ces derniers jours, le mouvement s'est nettement accéléré. Les professionnels de santé rendent un à un leurs propositions au ministre de la Santé, les parlementaires consultent plus que de coutume sur le sujet, des tribunes paraissent dans les quotidiens nationaux recommandant - ou déconseillant - telle ou telle solution...
Plusieurs raisons à cette agitation. Et d'abord, le fait que Jean-François Mattei dispose maintenant des pistes dont il a besoin pour orienter ses choix : Alain Coulomb vient de lui confier ses recettes de médicalisation de l'ONDAM (Objectif national des dépenses d'assurance-maladie, « le Quotidien » du 30 avril), elles s'ajoutent aux recommandations de Rolande Ruellan pour de nouvelles règles de pilotage de l'assurance-maladie et à celles de Jean-François Chadelat sur la redéfinition des contours de la solidarité nationale (ne manque plus que le rapport, technique, commandé à Christian Babusiaux sur l'accès des assureurs complémentaires aux données individuelles de santé). Ajoutons à cette pile de documents les signes donnés par le ministre sur ses intentions à l'occasion de la baisse du taux de remboursement de médicaments à SMR modéré et le décor de la réforme est planté. Les choses sont bien plus précises qu'il y a quelques semaines. Et logiquement, cela donne du grain à moudre à chacun. La MGEN (Mutuelle générale de l'Education nationale) s'est, à ce jeu, montrée particulièrement prompte puisqu'elle a fait savoir qu'elle envisageait déjà, anticipant sur un transfert des charges du régime général vers les complémentaires, de relever ses cotisations de 4 %.
Deux rendez-vous clés
Autre motif d'activité soutenue : des échéances particulièrement importantes se rapprochent. Le jeudi 15 mai, à 16 h 30, va se réunir au ministère des Affaires sociales la commission des comptes de la Sécurité sociale, qui devrait annoncer que le déficit de la branche maladie s'enfonce un peu plus dans le rouge (il flirtera vraisemblablement à la fin de l'année avec les 10 milliards d'euros). Un résultat aussi consternant qu'irréversible, dans la mesure où le gouvernement a définitivement écarté le « collectif social » (c'est-à-dire le projet de loi de financement de la Sécu rectificatif) qui avait un temps été imaginé « en cas d'écart significatif avec les objectifs ». Le « trou » du régime général met le gouvernement au pied du mur alors que Bruxelles devrait décider demain de donner jusqu'au 3 octobre aux pouvoirs publics français pour faire la preuve de leur bonne volonté en matière de maîtrise de la dépense publique.
Autre date clé : le congrès de la Mutualité qui se tiendra à Toulouse du 12 au 14 juin et dont on dit qu'il sera l'occasion pour le président de la République, qui en assure l'ouverture, de monter au créneau et de faire de premières annonces. Dans ce contexte, mieux vaut partir à point, et les professionnels ne s'y trompent pas. Ils ont entrepris de remettre, ainsi que Jean-François Mattei le leur a demandé, leurs suggestions de réforme au gouvernement. Le CNPS (Centre national des professions de santé), le LEEM (Les Entreprises du médicament), la CSMF et MG-France (voir encadré), la CFTC, Santé en Action (qui englobe le CNPS, les entreprises de santé - médicaments, technologies médicales - et les cliniques privées)... se sont déjà pliés à l'exercice. Tous d'accord sur la nécessité de soigner un système malade, unanimes en particulier pour reconnaître qu'il va falloir rétrécir le panier de soins remboursés par le régime de base, mais se séparant dans le choix des remèdes à administrer.
La majorité en ordre dispersé
Moins sages et organisés apparaissent les politiques, y compris au sein du gouvernement. Pour la majorité, en effet, il semble que la préparation de la réforme de la Sécu soit à l'heure actuelle synonyme d'agitation désordonnée. Pilote naturel des opérations, puisque chargé de l'assurance-maladie, Jean-François Mattei n'est pas seul, loin s'en faut, à travailler sur le dossier. Depuis un an, il se murmure que Matignon ou l'Elysée disent quelquefois leur mot sur ses choix sanitaires. Il est donc peu probable qu'ils lâchent totalement la bride au ministre de la Santé sur un aussi gros enjeu. En outre, Bercy, aujourd'hui, est aussi dans la course. Plus qu'inquiet de la tournure des comptes, le ministère de l'Economie est en train, de source sûre, d'interroger des experts. Au-delà du cercle du gouvernement, la majorité (au sein de laquelle certains s'interrogent, selon les mauvaises langues, sur la carrure de Jean-François Mattei) ne croise pas les bras. Un homme averti en valant deux, à l'UMP, Alain Juppé lui-même aurait commandé à des spécialistes de tous bords une note circonstanciée sur l'assurance-maladie.
Du côté de l'Assemblée nationale, c'est le Pr Jean-Michel Dubernard, député (UMP) du Rhône et président de la commission des Affaires sociales, qui uvre en sous-main. Avec un petit groupe tout ce qu'il y a de plus officieux (le Dr Bernard Accoyer, le Dr Pierre Morange et Yves Bur en feraient partie), le Pr Dubernard entend peser sur les décisions du gouvernement. La stratégie est plus classique au palais du Luxembourg. Les sénateurs réunis en commission des Affaires sociales commencent demain à auditionner les spécialistes : Jean-Marie Spaeth, le président (CFDT) de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), Jean-François Chadelat et Alain Coulomb sont au menu de cette première séance de travail.
Voir aussi :
La CSMF prône les « contrats », MG-France la « responsabilisation »
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