NOTRE SOCIÉTÉ semble avoir l’obsession de la transparence. Au marché de l’émotion télévisuelle, la révélation est vitale et le voyeurisme est roi ; la levée du secret et la chasse aux affaires intimes font de l’audience. La littérature psychologique regorge d’ouvrages expliquant la toute-puissance de la parole (la logolâtrie, dit l’auteur) et la nécessité de tout dire pour aller mieux. La médecine s’y met parfois avec l’obligation de vérité ou la remise en cause de l’anonymat du don d’organes, de gamètes ou d’accouchement sous X. Pourtant, explique le Dr Lévy-Soussan, tout dévoilement de secret n’est pas forcément bénéfique. Tout dépend de son caractère maîtrisé ou subi. «Le secret est d’abord le fruit d’un colloque singulier avec soi-même, d’une délibération intime. De son issue dépendra le destin du secret: gardien ou bourreau du psychisme.»
Espace intime.
La première sécurité à apporter à un enfant est la garantie de son espace intime. Paradigme de la maltraitance : l’inceste. Justement parce que, entre autres, il sidère l’émotion de l’enfant victime, piétine son espace de secret, le privant de toute possibilité de penser l’acte et de le dénoncer. Plus d’élaboration symbolique possible du complexe d’OEdipe ; le fantasme est devenu menace. «Le secret de l’être est détruit, disqualifié, éjecté hors de la personne: plus de secret, plus de désir, plus d’être.» D’autres dysfonctionnements familiaux graves peuvent également détruire tout espace de secret organisateur et avoir des effets dévastateurs. La préservation de l’espace intime est indispensable à l’équilibre psychique.
Tout dire à ses enfants de ses problèmes personnels et/ou tout leur demander au prétexte du droit de savoir et du pouvoir libérateur de la parole est une pratique non seulement inepte, mais aussi violente, explique le psychiatre.
Le mensonge peut parfois le préserver : en témoigne celui, mûrement décidé, de l’héroïne du film « Sur la route de Madison » (interprétée par Meryl Streep), qui cachera jusqu’à sa mort à ses enfants la relation éphémère mais capitale qu’elle eut avec un homme qui l’a révélée à elle-même. Secret de toute une vie gardé comme un talisman, vérité délibérément tue, mais parfaitement assumée.
Le contenant et le contenu.
Toute parole n’est ni bonne à dire ni à être entendue. La traque des fameux secrets de famille est vaine si elle n’est pas avant tout une quête de soi-même ; la chasse au secret supposé être le problème et sa révélation la solution n’a pas grand-chose à voir avec le partage d’un secret possiblement salutaire. Si le secret peut avoir un pouvoir structurant, il n’est pas toujours forcément protecteur. Quand l’intime devient intouchable à soi-même, un secret peut être morbide, obstacle à la pensée intégrative et élaborative d’un événement. P. Lévy-Soussan le démontre tout au long de son ouvrage : ce n’est donc pas son contenu mais ce qu’on en fait qui donne au secret son caractère positif ou négatif. Enoncer un secret, c’est prendre le risque de s’exposer. Et de se brûler les ailes ; en témoigne le suicide de l’écrivain Sarah Kofman après qu’elle eut dévoilé dans son dernier ouvrage, « Rue Ordener, rue Labat », la trame secrète de son enfance et de son conflit impossible entre deux mères, explique avec finesse l’auteur. «L’autre n’est jamais le gardien de nos secrets, n’a jamais la solution déjà prête de nos désirs ou de notre destin», écrit-il. Qu’il s’agisse d’un ami ou d’un psychothérapeute, l’autre n’est qu’un passeur nous permettant d’accéder à une autre rive où «la vue sur soi-même est à la fois la même et radicalement différente». Un secret d’ailleurs ne s’effondre pas comme un château de cartes parce qu’il est mis en mots ; car il a une valeur métaphorique, le discours dissimule aussi des secrets. Lorsque la souffrance psychique est trop grande, le travail psychanalytique permet de restaurer cette valeur du langage et la dimension inconsciente du discours pour rendre «tolérable l’intolérable». Et ce cheminement n’est pas le seul fait du pouvoir libérateur de la parole ; cette idée est pour P. Lévy-Soussan une mystification de la pensée analytique.
« Eloge du secret », de Pierre Lévy-Soussan, Hachette Littératures, 190 pages, 16,50 euros.
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