Que faire quand des émeutiers deviennent menaçants ? Tirer dans la foule. C'est ce que des policiers palestiniens ont fait lundi dernier. Deux manifestants palestiniens sont morts et on compte deux cents blessés.
Yasser Arafat - qui a passé un an à dénoncer la répression israélienne pour finir par s'en inspirer - venait d'interdire une manifestation organisée par des étudiants palestiniens en faveur d'Oussama ben Laden. Il a appris à ses dépens que le déchaînement de la violence se retourne parfois contre celui qui l'a fomentée. Cet incident grave laissera des traces. Il va radicaliser un peu plus les mouvements extrémistes palestiniens qui se sont livrés à dessein à une provocation. Et il sera très difficile à M. Arafat de faire marche arrière : il ne peut maintenir son autorité que si, au bout de compte, il fait, en quelque sorte, ce que lui demandent les Israéliens, c'est-à-dire s'il arrête les chefs du Djihad et du Hamas - et peut-être même quelques hommes de son propre mouvement, le Fatah.
M. Arafat est au bord du précipice : il y a un an, il a cru qu'en prenant la tête de la deuxième Intifada, il renforcerait son leadership sur l'ensemble des mouvements palestiniens. Huit cents morts plus tard, c'est la violence à laquelle il a voulu s'identifier qui risque de l'emporter.
Il n'y a aucune raison de s'en réjouir. On ne discerne aucune alternative au très imparfait Arafat, sinon des hommes qui organisent les attentats-suicides. Avec une obstination proche de l'aveuglement, Ariel Sharon a tenté d'assimiler M. Arafat à Oussama ben Laden. Ce n'est pas, bien sûr, que le président palestinien n'ait pas très souvent côtoyé le terrorisme pendant sa longue carrière ou que, avec beaucoup de cynisme, il n'en ait pas fait, ces douze derniers mois, son puissant allié. Mais il y a un problème politique à régler, celui d'un Etat palestinien qui n'a pas encore vu le jour. Et le seul mouvement palestinien qui, jusqu'à présent, ait accepté de négocier avec Israël, c'est celui de M. Arafat. Les Israéliens n'ont donc pas d'autre choix que de se servir de la tragédie de lundi pour reconnaître, ou même feindre de reconnaître, que le président de l'Autorité palestinienne leur a donné un gage politique qui vaut son pesant d'or.
Certes, M. Arafat voulait surtout éviter de déplaire aux Américains, sans lesquels il ne peut faire progresser aucun de ses projets, quels qu'ils soient, et réaffirmer un pouvoir qui, lui, est de plus en plus contesté par des factions palestiniennes.
Il n'empêche que l'intérêt de M. Sharon, qui, la semaine dernière, s'est offert un incident diplomatique de première grandeur avec les Etats-Unis, consiste à renforcer M. Arafat et non à l'enfoncer dans l'eau. Le gouvernement israélien s'est « félicité » de l'attitude du leader palestinien face à l'émeute de lundi. Mais il a demandé de nouvelles preuves de sa bonne foi, comme s'il ne savait pas que, dans le monde arabe, certaines acrobaties politiques sont mortelles.
Réactiver Shimon Peres
M. Sharon doit donner à Shimon Peres une vaste délégation de pouvoirs. De même que M. Arafat ne peut prétendre à plus que ce que Ehud Barak lui a offert il y a un an, de même M. Sharon ne peut pas s'accrocher indéfiniment au mythe d'une solution par la force. Avec une patience que rien n'a pu rebuter jusqu'à présent, même pas les attentats antiaméricains, M. Peres, que son propre parti a beaucoup critiqué pour sa présence dans le gouvernement Sharon, a été le seul, depuis le début de l'Intifada, à protéger la flamme presque éteinte de l'espoir d'une solution négociée. Jamais son rôle personnel n'aura été aussi actuel et indispensable. Si la monstruosité des attentats a pu créer un choc psychologique et démontré aux acteurs de la crise israélo-palestinienne que la violence ne conduit qu'au néant, la tragédie serait au moins utile de ce point de vue. M. Sharon, s'il ne veut pas être balayé par le vent de l'histoire, ne peut pas croire qu'il pourra maintenir indéfiniment les colons là où ils sont. M. Arafat, s'il veut survivre, ne peut pas croire qu'il réussira à refouler les Israéliens jusqu'à Tel-Aviv.
Bien entendu, la réactivation du processus de paix sera difficile, jalonnée d'embûches et de crimes. Le contexte géopolitique est particulièrement sombre, le fanatisme s'efforcera de casser la négociation et George W. Bush a d'autres préoccupations. En outre, ni M. Sharon, à cause de son passé, ni M. Arafat, parce qu'il a refusé ce que le gouvernement israélien actuel n'est pas disposé à lui accorder, ne se présentent comme des champions de la paix. Tous deux ont pourtant une occasion historique, celle d'aller à contre-courant de la dérive du monde. S'ils ne la saisissent pas, ils disparaîtront, le premier politiquement, le second physiquement.
Le monde entier sait où se situe l'Etat d'Israël et où se situe l'Etat palestinien. Il semble que seuls M. Arafat et M. Sharon ne le sachent pas encore. Il ne leur reste plus qu'à s'informer réciproquement.
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