En 1992, Gordon Guyatt posait les bases de l’Evidence Base Medecine (EBM) [1]. Les sociétés savantes s'en sont rapidement approprié afin de définir une : « utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient » (2). Et elles ont largement développé, tant à la demande des praticiens que des tutelles, des « recommandations » à partir de l’EBM.
Rationalisme versus intuition
Un raisonnement médical idéal devrait reposer sur une prise de décision dynamique qui inclut les données de la littérature, le patient et l’expérience clinique du médecin, celui-ci pouvant de façon argumentée utiliser ou sortir de ces recommandations.
Les économistes de la santé et les tutelles ont plutôt choisi de voir dans cette méthode une « pratique organisée, réglée par des experts et non par l’intuition géniale d’un médecin » (3). La science est utilisée pour réduire l’autonomie du soignant en standardisant les prises en charge et contingenter le système pour le « sécuriser ». Or la durée de vie moyenne des recommandations est de 5 ans ! (4) Ce qui relativise la « sécurisation du système ». Cette pensée rationaliste revendiquée au nom de la qualité dissimule mal une logique économique ainsi qu’une déshumanisation des soins (5).
En définitive, ce qui devrait être le premier palier de connaissances devient, pour les tutelles, la référence (6). À l’intention initiale, louable, de proposer un socle de connaissances, s’est progressivement substituée une standardisation systématique des pratiques pouvant mettre en péril le fondement de la réflexion médicale.
Chaque patient est unique
Au-delà de ces différences de point de vue, nous devons être conscients du poids juridique de ces recommandations qui nous sont opposables. Elles doivent donc être robustes et se limiter à ce qui est strictement démontré. Quand la littérature pertinente est insuffisante, il faut résister à la tentation d’un trop grand nombre d’avis d’experts ; ces avis devraient apparaître sous la forme de conseils, mais pas comme des recommandations opposables.
Un débat de fond sur l’élaboration des recommandations est nécessaire. Si elles sont bien sûr indispensables, elles se doivent d’être ciblées sur les faits avérés et éviter le piège de la standardisation à outrance qui nous fait oublier que la beauté de notre métier repose aussi sur l’évidence que chaque patient est unique.
Clinique générale, Groupe Vivalto santé, Annecy
(1) Evidence Based-MedicineWorking Group. JAMA 1992;268:2420-5
(2) Sackett DL. Seminars of perinatalogy 1997;21:3-5
(3) Le Pen C. Les habits neufs d’hippocrate. Calmann-Levy, Paris, 1999
(4) Alderson LJ et al. Journal of ClinicalEpidemiology 67;2014:52-5
(5) Azria E. http://www.laviedesidees.fr/L-humain-face-a-la-standardisation-du-soin-…
(6) Reach G. Tout prévoir 2013;441
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