« IL NE FAUDRAIT PAS que, de la même façon qu'en France avec l'arrivée des antirétroviraux, l'arrivée des génériques dans les pays du Sud conduise à une certaine banalisation de l'épidémie de VIH/sida », a déclaré le Pr Jean-François Delfraissy en ouverture de la table ronde consacrée à l'accès aux traitements dans les pays du Sud lors du 25e Ricai. Le président de la Ricai, le Pr Bernard Rouveix, s'est d'ailleurs félicité de ces rencontres Anrs-Ricai : « La virologie est un peu le parent pauvre de l'infectiologie, il était donc important que les infectiologues se rapprochent du monde du sida. » Une réunion commune afin d'informer les praticiens sur certains aspects médico-économiques et politiques de la question.
Baisse des prix.
« Un an après l'application des nouveaux accords de l'OMC sur la propriété intellectuelle, où en est-on ? » Selon Benjamin Coriat, président de l'Action coordonnée « Évaluation économique des traitements antirétroviraux dans les pays du Sud » à l'Anrs, les problématiques demeurent, et la menace sur la circulation et les prix des génériques est réelle. « Après une période difficile, la déclaration de Doha affirmant que les génériques devaient circuler dans les pays en développement et la baisse de prix ont permis une plus grande circulation », explique-t-il. Cependant, il craint que le compromis trouvé le 30 août 2003, qui tient compte des craintes légitimes des pays du Nord quant à la mise en place d'un marché parallèle, n'oblige à des règles trop strictes : double licence obligatoire pour le pays importateur et pour le pays exportateur, production d'une quantité donnée pour une période limitée spécifiées dans les demandes. « Il y a là une contradiction entre l'obligation à de petites quantités et les conditions de production qui nécessitent de grandes quantités », poursuit l'économiste. De plus, la date butoir du 1er janvier 2005 a conduit l'Inde, premier producteur et exportateur mondial d'antirétroviraux génériques, à adopter une nouvelle législation qui reconnaît les brevets sur les médicaments et interdit aux génériqueurs indiens de produire des versions génériques d'antirétroviraux récents. « Les médicaments de seconde ligne ne sont et ne pourront pas être concurrencés par les génériques. L'effet de concurrence ne jouera plus sur les prix », insiste-t-il. Déjà, au Brésil, pays pionnier pour l'accès universel et gratuit aux traitements, sur les 17 antirétroviraux délivrés, quatre représentent désormais 60 % du budget alloué aux médicaments.
Cependant, dans beaucoup de pays, de nombreux patients ont été mis récemment sous ARV (moins de six mois) et l'observance est en général très bonne, meilleure que dans le Nord avec d'emblée une trithérapie. « Le problème de résistance pourrait être moindre. Mais on peut penser que dans deux ans, 20 à 30 % auront un virus résistant, mais on ne sait pas de manière précise », explique le Pr Delfraissy.
Pour l'heure, « 1 million 200 000 personnes sont traitées dans le monde, alors que 6 millions devraient l'être », assure le Dr Michèle Barzach, présidente des Amis du fonds Europe pour le sida, le paludisme et la tuberculose .
Même « si la mobilisation, notamment financière, est en marche, il reste un trou à combler. On sait que 18 milliards seront nécessaires en 2006, or les promesses de dons pour 2007 ne s'élèvent qu'à 8 milliards de dollars », poursuit l'ancienne ministre de la Santé. Surtout, insiste-t-elle, « nous n'avons pas les capacités de production pour traiter tous les patients qui en auraient besoin. Il nous faut penser et agir sur les mécanismes d'achat des médicaments. Le consensus universel existe mais les mécanismes de financement ne sont pas mis en place ». Le Pr Rouveix souligne le problème du suivi biologique de tous ces traitements : « Les examens biologiques, même s'ils sont en baisse, sont encore à des prix prohibitifs. Comme pour les traitements, il faut insister sur les génériques de réactifs. »
Recherche et innovation.
Bernard Pécoul, directeur de l'Initiative pour les médicaments des maladies négligées (Drugs for Neglected Diseases Initiative, Dndi), milite pour « une recherche et une innovation adaptées aux besoins des pays du Sud et à l'ampleur du sida ». A court terme, et compte tenu de l'état présent des connaissances, elles devraient s'attacher au développement des formulations pédiatriques, des médicaments de première ligne plus efficaces et moins toxiques, des traitements des maladies opportunistes (tuberculose, leishmaniose) et des outils nécessaires au suivi du traitement. A plus long terme, la recherche devra se concentrer sur des produits innovants susceptibles de simplifier la prise en charge du sida et sur l'élaboration d'outils de la prévention. « Mais il manque un vrai leadership - et ce n'est pas la priorité de l'OMS -, qui puisse coordonner les actions, investir dans la recherche à un stade précoce, établir des règles du jeu pour faciliter l'innovation. Développer des traitements, des vaccins, des outils de diagnostic et de suivi nécessite un cadre réglementaire qui permette la mise en commun des brevets, par exemple, ou encore un enregistrement accéléré des antirétroviraux. Ce cadre n'existe pas », conclut le directeur du Dndi.
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