La sémiologie des formes cliniques des diverses psychoses majeures (schizophrénie, trouble schizo-affectif (SA), troubles bipolaires (ex-psychose maniaco-dépressive), psychose brève, manie psychotique, dépression délirante...) peut être déroutante et le pronostic complètement imprévisible.
Dans la première partie du XIXe siècle, l'hypothèse d'une psychose unitaire prévalait. La contribution pionnière de Falret, de Bailliager en France et de Kraepelin en Allemagne dans la deuxième partie du XXe siècle a permis de distinguer les diverses maladies cycliques de l'humeur. Depuis, il était classique de séparer les psychoses de mauvais pronostic (schizophrénie) et les psychoses affectives d'évolution moins péjorative (PMD ou troubles bipolaires). Toutefois, si l'on étudie les données actualisées, on s'aperçoit de la difficulté de prédire, au stade débutant, d'une part, le devenir des troubles et, d'autre part, l'appartenance diagnostique finale des patients. Cette difficulté réside probablement dans la faible spécificité des symptômes précoces ainsi que dans l'existence de chevauchements cliniques entre les différentes psychoses.
Non stabilité des diagnostics
Il est habituel de constater une instabilité des diagnostics psychiatriques. On observe, en particulier, un passage :
- Des troubles schizophréniques vers la bipolarité : de 16 à 20 % des diagnostics initiaux de schizophrénie évoluent vers la bipolarité. En faveur de cette éventualité, on retient les caractéristiques sémiologiques particulières de certains épisodes (présence d'éléments maniaques comme l'hyperactivité, l'instabilité émotionnelle, l'impulsivité), la qualité du fonctionnement prémorbide ou bien entre les épisodes successifs, les antécédents familiaux de bipolarité ou une amélioration symptomatique avec un thymorégulateur. A l'opposé, les indices les plus prédictifs de stabilité de la schizophrénie sont représentés par l'existence de symptômes négatifs (tels le retrait social, l'émoussement affectif) et le mauvais fonctionnement lors de l'admission à l'hôpital (Moller et coll., 2000 ; Paillière-Martinot et coll., 2000).
- Des troubles bipolaires vers la schizophrénie : de 17 à 29 % des sujets diagnostiqués initialement comme bipolaires vont évoluer vers la schizophrénie (Chen et coll., 1998 ; Schwartz et coll., 2000). Cette évolution semble être liée à la durée et à l'intensité de la dimension délirante au cours des épisodes thymiques, à la non-congruence de cette dimension avec le dérèglement de l'humeur, à une mauvaise adaptation sociale ou à une aggravation progressive du pronostic lors du suivi.
Le devenir des premiers épisodes maniaques a été évalué dans une étude de suivi prospectif pendant deux ans. Il apparaît que, malgré un taux de 98 % de rémissions symptomatiques, seulement 38 % des patients sont, au terme du suivi, en rémission fonctionnelle. Celle-ci serait influencée par l'âge de début avancé des troubles et la durée brève de l'hospitalisation (Tohen et coll., 2000).
SA et des jeunes bipolaires
Le suivi des patients ayant été hospitalisés au moins à trois reprises sur une période de sept ans montre que le diagnostic qui paraît le moins solide et le moins stable est le trouble « schizo-affectif » (SA). En effet, seuls 19 % des cas de SA le demeurent après sept ans (Chen et coll., 1998).
Par ailleurs, d'après des études classiques (Halfon et coll., 1992 ; Werry et coll., 1991), environ 50 % des dépressions délirantes évoluent vers un trouble bipolaire. Il s'agit là d'un domaine très mal exploré et connu. Cependant, on sait que dans la bipolarité juvénile, les manifestations caractéristiques sont rares. Les premiers épisodes sont dominés par la dépression (ou les états mixtes) et les éléments psychotiques avec des rapports complexes avec le trouble de déficit de l'attention. D'où la nécessité d'être vigilant quand on expose ces jeunes patients aux antidépresseurs ou aux stimulants. Dans l'étude de Geller (2001) qui a suivi 96 jeunes bipolaires (âge moyen : 10 ans) durant un an, il a été montré qu'un quart était sérieusement suicidaire et que seulement un tiers se trouvait en rémission au terme du suivi. Chronicité et cyclicité sont donc de règle chez les jeunes bipolaires.
Il est important pour le clinicien de se familiariser avec la terminologie et l'ensemble des concepts anciens et nouveaux, ainsi qu'avec leurs références croisées. Actuellement, l'enjeu est double :
- d'une part, repérer la vraie nature de la maladie (bipolaire ou schizophrénique) aux premiers stades ;
- d'autre part, corriger les diagnostics au fur et à mesure de l'évolution d'un trouble donné.
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, centre de l'humeur.
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