MENÉE dans douze pays européens, l'enquête EPIC (European Pain in Cancer) * est la plus grande étude jamais réalisée sur la prévalence, le traitement et l'impact de la douleur cancéreuse dans la vie du malade. En France, 642 patients cancéreux ont été interrogés : 62 % souffrent de douleurs modérées à sévères et, parmi eux, 31 % ne reçoivent pas de traitement pour leur douleur. Plus d'un quart de ces patients ressentent une douleur tellement intense qu'ils déclarent préférer mourir plutôt que de continuer à souffrir.
EPIC met en évidence des carences dans le dialogue entre le patient et son médecin. Ainsi 26 % des malades disent que leur médecin ne leur demande pas toujours s'ils ressentent des douleurs ; 28 % ont le sentiment que le professionnel de santé responsable de la prise en charge de leur douleur ne sait pas comment la contrôler ; et 8 % pensent que leur médecin ne comprend pas que la douleur constitue un problème pour eux. «Je comprends que les oncologues n'aient pas le temps de s'occuper de la douleur de leurs patients mais, alors, qu'ils fassent appel à nous plus souvent, lance le Dr Marilène Filbet, qui dirige le centre de soins palliatifs au CHU de Lyon-Sud. Aujourd'hui encore, je vois des malades qui auraient pu être suivis bien plus tôt. Il y a sûrement une enquête sociologique à mener auprès des professionnels de santé, médecins, infirmières… sur les raisons pour lesquelles la douleur est si mal prise en considération. La question: “Est-ce que vous avez mal ?” doit faire partie de l'interrogatoire systématique. Il faut aller à la pêche à l'information.»
Pousser le patient à parler.
Autre enquête, OCS (Opioid Care Survey), présentée par ses auteurs comme la première étude pharmaco-épidémiologique menée en France depuis dix ans à faire le point sur les modalités de prescription des opioïdes forts en cancérologie. Elle a été réalisée en collaboration avec la SFETD (Société française d'étude et de traitement de la douleur). Elle conclut à une évolution de la perception de la douleur dans le sens d'une surévaluation par le médecin (de la douleur de son patient), qui s'explique peut-être par la sous-estimation par le patient de sa propre douleur, considérée probablement comme un « passage obligé » de sa maladie. En revanche, les effets indésirables des traitements antalgiques ne sont pas assez pris en compte et l'adaptation du traitement antalgique aux besoins individuels du patient n'est pas systématiquement effectuée. «Il faut pousser nos patients à parler et les convaincre que la douleur n'est pas une fatalité», insiste le Dr Alain Serrié, directeur du département médecine de la douleur, médecine palliative et urgences céphalées de l'hôpital Lariboisière, à Paris.
Le généraliste conscient de son rôle crucial.
Le Dr Pierre-Yves Mousset a coordonné le programme RésoNantes MG (réflexions sur l'état actuel et l'avenir de la prise en charge de la douleur oncologique). Sur cent praticiens sollicités, cinquante-huit ont participé à la rédaction d'un « Manifeste »** sur la prise en charge de la douleur du cancer en médecine générale. Recrutés via la SFTED pour leur implication dans la prise en charge de la douleur cancéreuse, ils étaient donc déjà sensibilisés à la cause. «Théoriquement, la prise en charge de la douleur devrait être au coeur de la médecine générale. Et, s'il est vrai que l'on assiste à une spirale inflationniste de la médecine tendant à délaisser l'humain face à la technique…, le généraliste garde un rôle crucial», constate d'abord le Dr Jean-Marie Gomas, responsable du centre de douleur chronique et de soins palliatifs à l'hôpital Sainte-Perrine, à Paris. «La prise en compte par le généraliste de l'historique du patient est un élément positif.» Les praticiens admettent en revanche être peu enclins à la surveillance rapprochée (quand plusieurs traitements se chevauchent). Ils expriment par ailleurs des difficultés face à l'inobservance de leurs patients. Difficile de maintenir la foi du malade en son traitement quand il y a angoisse de mort. «Les généralistes ont bien conscience qu'ils sont au carrefour de la prise en charge des patients qui souffrent des douleurs cancéreuses mais ils considèrent les recommandations un peu éloignées de leur pratique. L'exigence permanente de compétence n'est pas simple.»
* www.paineurope.com.
** Publié dans la revue « Douleurs », Dr Alain Serrié, département de médecine de la douleur, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris Cedex 10.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature