L 'affaire n'a rien d'une surprise. Il y a deux mois, les spécialistes libéraux sarthois coordonnés avaient prévenu : las de voir leurs tarifs stagner et leurs charges augmenter, soucieux de répondre aux menaces de sanctions d'après DE de l'assurance-maladie, ils allaient se déconventionner au début de juillet (« le Quotidien » du 5 mai).
Chose promise, chose due, ils sont passés à l'acte. Samedi dernier, quarante gynécologues-obstétriciens, ophtalmologues, pédiatres, dermatologues..., soit 15,4 % de l'ensemble des spécialistes du département, ont choisi de ne plus adhérer à la convention médicale. Dans les cabinets, les patients ont été préparés à l'événement par voie d'affichette. Depuis le jour J, les médecins déconventionnés expliquent aux malades le pourquoi du comment de leur geste et leur proposent de rejoindre l'Association de défense des assurés sociaux (basée à Saint-Nazaire). « Dans la majeure partie des cas, ils adhèrent », affirme le Dr Dominique Plat, rhumatologue coordonné et déconventionné.
De son côté, la caisse primaire d'assurance-maladie du Mans applique les « tarifs d'autorité » (en vigueur hors convention) et adresse elle aussi des messages aux assurés sociaux. « En se déconventionnant, les médecins spécialistes concernés choisissent de pénaliser leurs patients pour tenter de faire valoir leurs revendications professionnelles et financières », leur explique-t-elle. Aux malades pris entre deux feux, la caisse propose de consulter par téléphone « la liste des médecins toujours conventionnés dans le département ».
Liste qui se révèle tout à fait inutile pour les femmes qui accouchent dans la seule maternité privée de la Sarthe, à la clinique mancelle du Tertre rouge. En effet, dans cet établissement, qui prend en charge la moitié des naissances du département - ce qui représente entre 2 800 et 3 000 naissances chaque année -, il n'y a plus de gynécologue-obstétricien conventionné. Les onze spécialistes qui y officient ont tous rendu leur tablier à l'assurance-maladie. Conséquence directe pour les assurés : un accouchement à la clinique du Tertre rouge est, depuis six jours, remboursé par la Sécurité sociale à hauteur du tarif d'autorité de 10,67 euros. Combien est-il facturé aux jeunes mamans ? En général, 313,50 euros, comme d'habitude. Mais, insiste le Dr Jack Mouchel, obstétricien à la clinique du Mans, « nous connaissons bien le statut socioprofessionnel de nos patients. Nous allons donc procéder avec tact et mesure. Certains actes pourront être gratuits, nous accepterons des paiements décalés ».
Six jours après le début des hostilités, les Sarthoises, bien qu'elles en soient de leur poche pour plus de 300 euros, n'ont pas déserté la clinique du Tertre rouge. Dix-neuf d'entre elles y ont accouché le week-end dernier. « Les femmes acceptent de payer, elles sont attachées à leur obstétricien », estime le Dr Plat. Une question se pose : peuvent-elles aller ailleurs ? En tout cas, elles n'ont pas été mises devant le fait accompli, rappelle le Dr Mouchel. « Notre décision est inscrite dans les salles d'attente depuis mai, et cela n'a pas eu d'effet », constate l'obstétricien. Consciente du « préjudice » subi par les parturientes, mais, dit-elle, n'en pouvant mais, la caisse du Mans, pour sa part, a décidé de « prendre en charge automatiquement, sans démarche de l'assurée, les frais de déplacement pour les futures mamans qui choisiraient d'accoucher dans un département limitrophe ». La proposition, s'il est trop tôt pour mesurer son éventuel succès, fait glousser les médecins déconventionnés : « Notre caisse est championne depuis plusieurs années de la traque des frais de transport abusifs », ironise le Dr Mouchel. Parce qu'elle est jugée « inapplicable, coûteuse et dangereuse », elle renforce aussi leur colère. Le Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF), qui soutient vigoureusement les Sarthois déconventionnés, renchérit : « La CPAM prendra-t-elle également en charge la responsabilité des accidents de circulation et des accidents médicaux pouvant survenir au cours du transport ? »
Le ton monte, l'opération mousse. Les déconventionnés de la Sarthe ont eu les honneurs des journaux télévisés nationaux et ne regrettent leur geste en aucun cas. Le Dr Mouchel est satisfait : « Je suis surpris du nombre de patients qui adhèrent à notre point de vue, qui nous encouragent même. Ils voient bien que l'attitude de la caisse témoigne d'une volonté de pouvoir. Avec leur bon sens sarthois, ils comprennent que, si les médecins acceptent de renoncer à leur indépendance, après, ce sera leur tour d'aliéner leur liberté. » Touché par les marques de sympathie de sa clientèle, Jack Mouchel pense avoir, depuis qu'il s'est déconventionné, « retrouvé sa dignité de médecin ».
Un mouvement national limité, affirme la CNAM
« Le mouvement de déconventionnement est, fort heureusement, très limité, en ampleur et dans le temps », a déclaré Daniel Lenoir, directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), qui évalue le nombre de médecins spécialistes concernés à « moins de 100 aujourd'hui, moins de 100 demain, mais pas les mêmes ».
Joël Melzi, directeur de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) de Caen signale pour sa part que, sur les 75 médecins spécialistes du Calvados déconventionnés fin mai (sur un total de 552 spécialistes tous secteurs confondus), il ne reste « plus aucun médecin déconventionné ». S'en tenant à la « stricte application de la réglementation », la CPAM du Calvados a remboursé les patients de ces praticiens sur la base du tarif d'autorité (moins d'un euro) « pendant trois semaines ».
Du côté de la coordination des médecins spécialistes du Calvados, le Dr Catherine Gindrey (vice-présidente de l'AMLI 14) affirme qu'au moins deux psychiatres et deux ophtalmologistes « sont toujours déconventionnés » et que le mouvement devrait « repartir à la rentrée ».
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