Jean-François Mattei s'attendait-il, en prenant ses fonctions, à hériter d'un tel champ de mines ? En quelques jours il aura, en tout cas, pu prendre la mesure des difficultés qui l'attendent s'il conserve ses fonctions au lendemain des législatives.
Le casse-tête du C à 20 euros
Le premier obstacle à surmonter est celui du conflit des généralistes qui souhaitent obtenir, entre autres, que le tarif de la consultation soit porté de 18,50 à 20 euros, ce qui coûterait environ 255 millions d'euros en année pleine à la Sécurité sociale. Dans cette affaire, le gouvernement est prisonnier de ses engagements. D'une part, Jacques Chirac et ses lieutenants ont clairement laissé entendre, tout au long de la campagne, que le les généralistes obtiendraient le C à 20 euros, engagement que Jean-François Mattei a repris aussitôt après sa nomination en estimant que cette revendication est « légitime » et que François Fillon a confirmé en indiquant qu'un geste fort serait fait « avant l'été ». Mais, d'autre part, Jacques Chirac entend relancer le partenariat social, défendre le paritarisme dans les organismes sociaux ; ce qui lui impose, à tout le moins, de ne pas fouler aux pieds les prérogatives de la CNAM, seule en mesure de proposer cette revalorisation d'honoraires. Sauf à s'exposer à un tollé chez les tenants d'une gestion paritaire de la Sécurité sociale.
L'obligation de passer par les caisses pour donner satisfaction à cette revendication complique sérieusement la tâche du gouvernement. L'assurance-maladie, qui ne se montre guère enthousiaste - c'est un euphémisme - pour accéder aux revendications des généralistes, ne concéderait le C à 20 euros que dans le cadre d'une négociation conventionnelle avec les médecins. Une négociation qui se heurte à de multiples difficultés. Faut-il signer un avenant à l'actuelle convention des généralistes avec le syndicat, ce qui irriterait les autres syndicats majoritaires ? Faut-il entamer des négociations pour une nouvelle convention médicale avec tous les syndicats de praticiens, ce qui nécessiterait encore plus de temps ?
L'affaire est d'autant plus complexe que le calendrier joue contre le gouvernement. Chaque jour qui passe entame le crédit dont il bénéficie auprès de la grande majorité des médecins libéraux. Echaudés par les précédentes promesses non tenues, les praticiens veulent que la revalorisation des honoraires soit effective avant les législatives, ce qui semble techniquement difficile. Certains leaders syndicaux redoutent, en effet, soit une défaite des candidats de l'UMP les 9 et 16 juin prochain, soit un scénario catastrophe qu'un responsable résume ainsi :
« Après le 16 juin , le gouvernement, lorsqu'il aura reçu l'audit qu'il a commandé, peut nous refaire le coût de l'héritage, affirmer que les comptes sociaux sont plus dégradés qu'il ne le pensait et que, dans ces conditions, certaines mesures doivent être différées. »
Douchant l'enthousiasme de certains praticiens qui, tous les matins, voient le soleil d'Austerlitz se lever sur le champ de bataille du C à 20 euros, le Dr Pierre Costes, président de MG-France, tempère : « Les médecins ne doivent surtout pas croire que demain matin la consultation sera à 20 euros et la visite à 30 euros, et cela sans contrepartie. »
A la CSMF, certains paraissent redouter que le gouvernement joue la montre. Excédé par les déclarations ambiguës des ministres sur le C à 20 euros et, surtout, sur sa date d'application, Michel Chassang, président de la CSMF, confie en privé : « Il ne faut surtout pas qu'ils nous refassent le coup de 1995 ».
Le gouvernement, lui, est conscient des risques d'un pourrissement du conflit. Les coordinations de généralistes qui se sont créées dans la très grande majorité des départements et affirment regrouper 30 000 généralistes radicalisent leur mouvement. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, des médecins ont décidé d'envoyer en bloc une lettre à la Sécurité sociale pour lui exprimer leur volonté de se déconventionner. Il faut à l'évidence faire la part de la gesticulation dans cette initiative - puisque ces déconventionnements ne deviendront pas effectifs avant deux mois -, mais les pouvoirs publics - pas plus que l'assurance-maladie - ne peuvent totalement ignorer ces signes de radicalisation. S'ils laissaient des médecins se déconventionner en masse dans un ou plusieurs départements, la colère des patients, qui ne seraient quasiment plus remboursés des actes médicaux, se retournerait peut-être contre les praticiens mais elle n'épargnerait pas non plus les responsables politiques. Par ailleurs, le mécontentement des médecins pourrait aussi polluer la campagne de certains candidats de l'UMP, notamment dans les départements ou l'exaspération médicale est à son comble. Et où les candidats seraient interpellés sur le thème : « Pourquoi ne nous avez-vous pas donné le c à 20 euros ?».
L'équipe de Jean-Pierre Raffarin doit prendre en considération les risques d'extension du conflit à d'autres catégories de médecins. La promesses de la CNAM de demander au gouvernement de suspendre les majorations de charges sociales concernant les spécialistes du secteur 1 - exigence que le gouvernement pourrait assez aisément satisfaire - a, certes, détendu le climat. Mais les pédiatres bataillent toujours pour obtenir une revalorisation de leurs honoraires et certains d'entre eux menacent de faire grève. Les spécialistes de la naissance pourraient cesser leur activité dès le 3 juin pour protester contre le fait que le décret d'application d'un texte revalorisant leurs honoraires et négocié sous le gouvernement Jospin ne soit toujours pas paru au « Journal officiel ».
35 heures à l'hôpital : statu quo ou moratoire ?
Le deuxième dossier explosif auquel est confronté le gouvernement Raffarin est celui des 35 heures à l'hôpital. Beaucoup de responsables hospitaliers estiment que les moyens débloqués pour la mise en uvre de cette réforme - 45 0000 créations de postes sur plusieurs années pour les personnels hospitaliers et 3 500 créations de postes de médecins - ne suffisent pas et, surtout, qu'ils arrivent au compte-gouttes. Conscient du problème et des difficultés d'application de la réforme, François Fillon a affirmé la semaine dernière, sur Europe 1 que « les 35 heures ont été décrétées alors qu'il n'y a pas de personnel » et qu'il faudra procéder « à un aménagement pour les personnels non médicaux » et « à un moratoire, sans doute, pour les personnels médicaux ».
Certains, notamment parmi les directeurs d'hôpitaux, estiment que l'idée d'un moratoire finira bien par s'imposer tant les difficultés de mise en uvre des 35 heures sont grandes. Mais, ballon d'essai ou maladresse, les propos de François Fillon ont mis le feu aux poudres chez les syndicats de médecins hospitaliers. L'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), qui dit avoir pris connaissance « avec stupeur » des déclarations de François Fillon, a aussitôt demandé un entretien à Jean-François Mattei. L'INPH veut croire qu'il s'agit d'une maladresse de François Fillon mais laisse planer la menace d'un conflit : « Il serait regrettable que cette maladresse se transforme en malentendu et ce malentendu en mouvement social légitime. »
La Confédération des hôpitaux généraux (CHG), un autre syndicat de médecins hospitaliers, affirme qu' « il ne peut y avoir une remise en cause des avancées » et a demandé, elle aussi, à être reçue par Jean-François Mattei. L'Association des médecins urgentistes hospitaliers parle, elle, de « déclaration de guerre ». Jean-François Mattei a tenu mardi (lire page 6) des propos plus nuancés sur les 35 heures en évoquant l'hypothèse d'un « audit » sur cette réforme. Avec ou sans remise en cause des accords Guigou sur les 35 heures, le gouvernement qui sera aux affaires après le 16 juin n'évitera pas les conflits, tant ce dossier s'apparente à une bombe à retardement. Sauf s'il se décide à débloquer des moyens supplémentaires, ce qui ne semble pas être dans l'air du temps.
Assurance-maladie : du trou au gouffre ?
Au problème des médecins libéraux et des hospitaliers vient s'ajouter, pour le nouveau gouvernement, une troisième difficulté : celle qui a trait à l'équilibre des comptes sociaux. Comment satisfaire les revendications des libéraux, des hospitaliers, financer le plan d'investissement de 6 milliards d'euros sur cinq ans pour les hôpitaux qui figurent dans le programme de l'Union en mouvement alors que les finances de l'assurance-maladie s'enfoncent dans le rouge ? Le déficit pour 2002 pourrait atteindre 5 milliards d'euros au lieu de 2 milliards prévus. Jacques Chirac s'étant engagé à réduire les prélèvements obligatoires et à alléger certaines charges sociales, assurer l'équilibre de la Sécurité sociale semble procéder de l'impossible pari.
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