Plus de trois ans et demi après le « coup de gueule » du Dr Véronique Vasseur dans son ouvrage intitulé « Médecin-chef à la prison de la Santé » (Cherche-Midi, 2000), rien n'a changé dans les 187 établissements pénitentiaires français. Les presque 60 000 détenus - chiffre dépassé le 1er juillet dernier (60 963) - pour une « capacité d'hébergement théorique » de 48 669 places ne sont toujours pas des citoyens comme les autres, à égalité de droits face aux soins, à en croire le rapport de l'OIP sur l'état des prisons en 2002.
La loi du 18 janvier 1994, qui place le prisonnier sur le même plan que l'homme libre face à la santé, subit blocages et retards. La prise en charge médicale des détenus par les hôpitaux publics, qui a mis fin à la médecine pénitentiaire, n'aurait pas été suivie d'avancées substantielles. L'inspection générale des Affaires sociales (IGAS) et l'inspection générale des Services judiciaires (IGSJ) constatent elles-mêmes que « le niveau et la répartition des moyens attribués aux unités de consultations et de soins ambulatoires ne correspondent pas aux besoins ». D'où « les dysfonctionnements » pointés du doigt par l'OIP : « Vétusté et manque d'hygiène, respect aléatoire du secret médical, défaut de permanence des soins la nuit » et, les fins de semaine, « carences de consultations spécialisées aggravées par des annulations fréquentes d'extractions » (transferts à l'hôpital de proximité) et dépistage et prise en charge de l'hépatite C « défaillants ».
Médecine à travers les barreaux
Les expertises médicales demandées par la justice sont réalisées dans des locaux non adaptés en présence de surveillants. Dans les quartiers disciplinaires, la visite médicale obligatoire se fait à travers les barreaux, en présence de matons. Lors des hospitalisations, l'escorte, composée de policiers, est à portée de voix du patient et du médecin, la porte de la chambre restant ouverte. Et les extractions médicales sont bien souvent supprimées, faute de policiers. A Caen, elles sont limitées à deux par jour et les délais de consultations spécialisées peuvent atteindre deux mois.
Certains prisonniers refusent soins et hospitalisations, car ils savent, par expérience, qu'ils seront menottés aux barreaux de leur lit. A Fresnes (Val-de-Marne), l'OIP a vu un homme de 73 ans de retour de l'hôpital qui se déplaçait avec un déambulateur menottes aux mains et chaînes aux pieds (1).
Les consultations spécialisées, quant à elles, font cruellement défaut dans les prisons, principalement en ophtalmologie et en dentisterie. Toujours à Fresnes, où le poste de kinésithérapeute est budgété mais non pourvu, un prisonnier édenté a été contraint pendant son incarcération d'avaler sa nourriture sous forme diluée, l'établissement n'ayant pas passé de contrat avec un prothésiste dentaire.
La situation des toxicomanes ne vaut guère mieux. Alors que de 60 à 90 % des usagers de drogue incarcérés sont exposés au VHC, le dépistage et la prise en charge sont jugés « inquiétants » par l'IGAS et l'IGSJ.
En ce qui concerne les permanences médicales nocturnes et les samedis-dimanches, seules Fleury-Mérogis (Essonne), 4 000 détenus, et la Santé (Paris), 1 400, disposent d'un médecin de garde. A Grenoble, en janvier dernier, un prisonnier a hurlé pendant deux heures pour signaler la pendaison d'un codétenu ; les surveillants arrivés sur place ont dû avertir leur « responsable », détenteur du trousseau de clés, avant de prévenir le centre 15. A Nanterre (Hauts-de-Seine), en septembre 2002, un détenu découvre que son collègue de cellule est « inconscient ». Il réussit à faire venir le « gradé » qui lui demande s'il (l'inconscient) « est sous traitement ». « Oui », lui répond-on. « Bon, on verra demain », dit le surveillant en chef. Le lendemain, l'homme est mort. En 2000, le Comité de prévention de la torture, rattaché au Conseil de l'Europe, avait recommandé à la France de pallier ces carences en multipliant les permanences. « La réponse n'en sera pas une », commente l'OIP : « Quand on a un problème, les surveillants appellent le centre 15 », a fait savoir l'administration pénitentiaire.
En matière d'hygiène, la vétusté relève du XIXe siècle. Les canalisations sont rouillées, le linge est lavé et séché en cellule (pas devant les barreaux, c'est interdit). A la prison Saint-Paul de Lyon, un séropositif (VIH) a été admis dans une cellule médicalisée dératisée, où il restait un cadavre de rat.
La loi Kouchner dénaturée
Dans ce sombre tableau, le point le plus important, pour l'OIP, est le sort des personnes en fin de vie. La loi Kouchner du 4 mars 2002, autorisant les suspensions de peine pour les détenus dont le pronostic vital est engagé ou dont l'état de santé est incompatible avec la détention, est affaiblie, voire dénaturée. Une circulaire du ministère de la Justice aux procureurs, en date du 7 mai 2003 demande, en effet, que soit « pris en compte le risque de trouble à l'ordre public ». Or, fait remarquer l'association de défense des droits de l'homme, Papon a été libéré en septembre 2002 à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme qui lui reprochait de mettre en avant le trouble à l'ordre public au détriment de l'incompatibilité de la détention avec la santé du détenu.
Le Sénat a adopté un amendement à la loi sur la sécurité intérieure, actuellement en discussion au Parlement : il stipule qu'il ne peut y avoir de suspension de peine pour raison de santé que s'il n'existe pas de risque de renouvellement de l'infraction. De mars 2002 jusqu'à l'automne 2003, 70 suspensions de peine ont été prononcées, « seulement », insiste l'ONG ; elle rappelle que les prisons françaises renferment 1 800 personnes âgées de plus de 60 ans, 1 000 séropositifs au VIH et un certain nombre (2) de cancéreux, de leucémiques, de diabétiques, de handicapés et de porteurs de maladies cardio-vasculaires. Fresnes accueille bon an mal an de 10 à 20 grabataires et tétraplégiques.
Dans de telles conditions, pour le détenu, « chaque nouveau jour annonce une lutte vouée à l'échec contre le bruit, la saleté, les mauvaises odeurs, l'étouffement et, par voie de conséquence, la haine des autres et de soi », écrit l'avocat Thierry Lévy, président de l'OIP. L'année dernière, 122 prisonniers se sont suicidés, soit une augmentation de 17,3 % en un an, suivis de 73 pour les 7 premiers mois de 2003.
(1) Le code pénal prévoit l'usage des menottes et des entraves « par mesure de précaution contre les évasions » ou « lorsque les circonstances ne permettent pas d'assurer efficacement » la garde d'un prisonnier « d'une autre manière ».
(2) Faute d'étude épidémiologique, le nombre de personnes atteintes de ces pathologies est inconnu.
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