Le gouvernement de Lionel Jospin aurait pu rêver en matière sanitaire et sociale d'une fin de mandat moins agitée.
Alors qu'en cinq ans la majorité sortante a fait adopter des réformes qui feront date - la couverture maladie universelle, l'Allocation personnalisée à l'autonomie et surtout la loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé -, voilà que ce bilan se trouve obscurci - pour ne pas dire éclipsé - par une série noire. Quelle guigne ! doit-on soupirer dans les cabinets ministériels.
Dernier élément : la révision à la baisse des prévisions de croissance pour 2002. Pas un seul institut de conjoncture ne croyait à l'hypothèse d'une croissance moyenne de 2,5 % pour 2002. Par volontarisme plus que par aveuglement, mais aussi, et surtout, pour établir un projet de budget ne faisant pas apparaître de trop importants déficits, Laurent Fabius a maintenu pendant plusieurs mois cette fiction. Les chiffres étant encore plus têtus que les faits, il a bien été contraint de réviser non seulement le taux de croissance pour cette année (1,4 à 1,6 % au lieu de 2,5 %), mais aussi les montants des déficits publics (1,8 % du PIB au lieu de 1,3 % prévus). Conséquence de ce ralentissement de l'économie : les recettes de la Sécurité sociale, qui dépendent de la croissance et de l'augmentation de la masse salariale, seront moins importantes que prévu. La commission des comptes de la Sécurité sociale avait fait ses prévisions sur la base d'une croissance de 5 % de la masse salariale en 2002. Or le rythme annuel serait plutôt de l'ordre de 4 %, ce qui amputerait les rentrées de la Sécurité sociale de près de 1,8 milliards d'euros. Cela suffirait à faire passer dans le rouge le régime général pour cette année, alors qu'à l'origine la commission des comptes prévoyait un excédent de 1 milliard d'euros.
Un déficit qui sera plus important que prévu
Mais le ralentissement de la croissance du PIB n'est pas le seul élément qui contribue à dégrader les comptes sociaux. La hausse des dépenses d'assurance-maladie devrait être beaucoup plus importante que les 3,8 % prévus par la loi de financement de la Sécurité sociale 2002 (soit un objectif de dépenses de 112,8 milliards d'euros).
En 2000 et 2001, les dépenses encadrées par l'ONDAM ont augmenté en effet de plus de 5 % et les objectifs ont été dépassés de 2,5 milliards d'euros. On voit mal comment ce rythme de 5 % pourrait être ramené à 3,8 % cette année. D'autant plus que le gouvernement n'a pris aucune mesure significative pour maîtriser les dépenses et qu'il a débloqué de nouveaux crédits pour tenter d'éteindre les brasiers de la colère sociale. En septembre dernier, la commission des comptes reconnaissait d'ailleurs que « l'hypothèse retenue en matière de dépenses d'assurance-maladie est particulièrement ambitieuse » et que « sa réalisation supposerait un freinage considérable par rapport à la tendance moyenne des deux dernières années ». Si ce n'était pas le cas et si les dépenses poursuivaient leur hausse à un rythme de plus de 5 %, le déficit de l'assurance-maladie serait plus important que prévu, de 2 à 2,5 milliards d'euros. Et la conjonction baisse des recettes et hausse des dépenses amènerait le régime général à un déficit de 3 à 4 milliards d'euros au lieu d'un excédent de 1 milliard d'euros.
Certes, en 2001, les résultats seront meilleurs que les prévisions pour l'ensemble du régime général, en raison, entre autres, d'une rentrée de recettes plus importante que prévu. Mais le gouvernement Jospin ne pourra plus se targuer d'avoir établi durablement l'équilibre des comptes sociaux. C'est un élément de moins dans l'argumentaire de campagne.
Ce n'est pas la seule mauvaise nouvelle pour Elisabeth Guigou dans ce « trimestre horribilis ». Car la ministre de l'Emploi et de la Solidarité est toujours en prise avec le conflit des généralistes.
Sous-évaluée par le gouvernement, la colère est loin de s'éteindre. Massivement rejeté par les médecins, l'accord signé par MG-France et la Caisse nationale d'assurance-maladie n'aura pas permis de désamorcer la crise. Si l'objectif de ce protocole, qui grèvera l'ONDAM de 257,7 millions d'euros en année pleine, était d'instaurer une pax medica, l'échec est patent. Car quelle est la situation aujourd'hui ? Les coordinations de médecins généralistes se multiplient, parfois avec la complicité de syndicats représentatifs ; des médecins facturent 20 euros les consultations sans que les caisses d'assurance-maladie aient pour l'instant réagi ; trois nouvelles « Journées sans toubib » sont prévues les 15, 16 et 17 février ; une manifestation nationale sera organisée le 10 mars ; MG-France, le partenaire privilégié de caisses et du gouvernement, déstabilisé, contesté par une forte minorité de ses adhérents, est contraint de hausser le ton.
Bref, rien ne permet de voir la fin du conflit. Et ailleurs, dans les autres professions de santé libérales, le bilan n'est guère plus positif : dentistes, infirmières, masseurs-kinésithérapeutes manifestent leur mécontentement et sont engagés dans de difficiles négociations avec l'assurance-maladie.
L'opposition commente d'une mine gourmande ou d'un ton faussement affligé les déboires d'Elisabeth Guigou, feignant d'ignorer qu'en 1997 les mêmes professions de santé lui ont fait boire le calice jusqu'à la lie.
Tension dans les hôpitaux
Enfin couve toujours la menace d'une explosion sociale à l'hôpital ou plutôt d'une série de conflits locaux, attisés par les difficultés de la mise en place des 35 heures. FHF, directeurs d'établissements, syndicats non signataires du protocole d'accord sur les 35 heures - ils sont majoritaires -, tous affirment que le compte n'y est pas, que les moyens débloqués pour une application - fût-elle progressive - des 35 heures, sont insuffisants et qu'à terme c'est la qualité des soins qui risque d'être compromise. Ce dossier-là peut à tout moment devenir explosif.
Lionel Jospin va devoir faire montre de ses talents de grand communicateur pour que cette série de déconvenues dans le domaine sanitaire et social n'éclipse pas les réformes qui sont sa fierté. D'autant plus que le camp de Jacques Chirac est prêt à faire flèche de tout bois. L'intervention que le président de la République doit faire jeudi devant les assises du Centre national des professions de santé ne sera sans doute pas des plus douces aux oreilles de Lionel Jospin.
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